Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

joyeuses descendantes un peu moins déshabillées qu’elle, mais tout aussi tentatrices, et qui ont d’innombrables variétés de pommes à nous offrir.

Une différence énorme, cependant, n’en existe pas moins entre l’immoralité murale d’autrefois et celle d’à présent. Lorsque l’ancien bas-relief est obscène, il l’est crûment, avec quelque chose de naturel et de barbare, ou de naturien et de mythologique. C’est une fantaisie impudique, étalée en toute nudité, mais n’allant pas plus loin que la fantaisie pour la fantaisie et la nudité pour la nudité. C’est l’impudeur animale interprétée par l’impudeur artiste. L’affiche est tout autre chose, et son impudeur, à elle, est savante, systématique, calculée, dosée, commerciale ; c’est une impudeur de profession, qui se gouverne et se mesure selon les exigences et les roueries d’un métier ; c’est l’impudeur de la prostitution. Cette femme agile et preste de l’annonce. qui se déshabille ou se rhabille à volonté, s’emmitoufle de fourrures ou nous montre ses épaules, et se détaille avec tant de science, sous tous ces effets de lumière ou de coups de vent, cette jolie femme-là ne fait pas tout cela pour son plaisir, comme la bonne dame sans malice des chapiteaux, mais dans une intention, pour la galerie, pour la rue, pour le fils de famille qui va passer, ou le vieux monsieur qui la regarde. Elle nous appelle, nous cligne de l’œil, se déhanche, rit, trottine et se démène pour qu’on la suive. Elle fait le mur, et nous guette pour nous dévaliser. Le naïf bas-relief, lui, se perd dans l’ombre et le gris de la pierre ; il a peur du jour. L’insolente affiche, au contraire, est équipée pour la guerre, harnachée pour le trottoir, parée pour la promenade ou le théâtre, et sa nudité même, quand elle est nue, est une nudité composée, fardée, blanchie, une nudité maquillée. C’est une cabotine et une créature qui est là pour « faire ses affaires », et qui, en cela encore, résume bien son temps. Prostitution et cabotinage, toute l’époque est là, et c’est bien aussi l’esprit de l’affiche. Vous apercevez une aimée de Montmartre ou de Batignolles danser et se tortiller sous des tuniques lumineuses, comme réclame au meilleur remède contre la dyspepsie ou le coryza ? Ce n’est pas là seulement l’annonce d’un remède, mais l’incarnation même du peuple qui en a besoin.

Et voyez où se manifestent le caractère destructeur et la dissolvance naturelle de l’affiche ! Les sculptures plus ou moins cyniques des églises ou des palais ont-elles vraiment jamais corrompu quelqu’un ? En quoi l’ouvrier ou l’enfant qui passent sont-ils démoralisés par les joyeux chèvrepieds qui gambadent dans les frises du Louvre, et de quelles distractions les mystères