Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelque chose de nouveau, et comme la rapidité même avec laquelle l’affiche apparaît et disparaît, pour s’en aller en lambeaux, sous le piétinement et dans la hâte des passans, ajoute encore à ce qu’elle a déjà de corrupteur et de corrompu ! Et ne devinons-nous pas aussi le parti qu’on pourra tirer des procédés mêmes de Chéret, pour mener à l’assaut du paradis social, le grand déchaînement des misérables ! On ne voit pas la vertu, la chasteté, le renoncement, la probité et la sagesse en affiches, mais on y voit fort bien le viol et le pillage. Et l’affiche démagogique, chatouillant la férocité, montrant du rouge à la brute, aura son heure. L’affiche détruit, et ne peut que détruire. Elle détruit déjà comme le plaisir, et détruira comme la fureur. Elle nous annonce les joies nocturnes ? Elle nous annoncera celles du « Grand Soir ». Paul Bourget raconte l’histoire d’une fille de brasserie, une certaine « Nini-Pétrole », qui s’était faite infirmière sous la Commune, et fusillait les prêtres rue Cujas. L’affiche ressemble à cette fille. Elle en est à la brasserie ; nous la verrons rue Cujas.


V

On a souvent remarqué le caractère scandaleux de l’affiche. La fille sous les armes, battant le pavé ou dansant le cancan, en est le thème privilégié. Qu’on veuille nous écouler une pâte épilatoire ou un reconstituant, on nous les fait toujours annoncer par elle ; elle achalande la boutique, et l’on ne sait même plus trop ce qu’elle y vend. L’art mural, toutefois, il faut bien le dire, a toujours eu ce côté licencieux, même aux époques de compression et d’autorité. Les indescriptibles fourmillemens de moines vicieux, de nonnes, de sorciers, de diables et de boucs, fouillés dans les vieux monumens, nous prouvent à quelle luxuriance de lubricité fantaisiste et décorative se livraient les artistes et les ouvriers chargés d’ornementer les graves édifices. On y retrouve toutes les imaginations de l’éternelle perversité, et l’affiche, ici, continue la tradition, et ne la continue même qu’en la gazant. Le mur, comme le latin, brave l’honnêteté, et la muraille moderne la brave à sa façon. Les anciennes sorcières des vieux bas-reliefs ont quitté les vieux chapiteaux et les vieux portails, passé chez la modiste et la lingère, mis des chapeaux à plumes et des peignoirs transparens, changé leur manche à balai en éventail, et sauté, ainsi transformées, dans les fulgurans chromos où elles nous engagent à acheter les élixirs de jeunesse qui les ont elles-mêmes rajeunies. Eve, si souvent aperçue dans les antiques vignettes de pierre de nos cathédrales, a ressuscité sur les kiosques, dans de