Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demeure logique dans l’insanité, et l’affiche, en raison même de cette logique, de cette harmonie entre le principe et son but, n’est pas, et ne peut pas être morale. Née de l’individualisme, de tout ce qui en découle d’appétits, d’égoïsmes, d’exigences, de caprices, de sensualité, de besoin de jouir, d’effroi de souffrir, de néant intellectuel, de futilité, de culte aigu de soi-même, de mépris ennuyé pour tout ce qui n’est pas soi, elle doit logiquement reproduire et rendre tout cela. Son fond est là, son âme est là, et elle ne sera de l’art qu’en se conformant à son âme et à son fond ; elle ne tentera même les esprits véritablement artistes qu’en cela, et jamais dans le contraire, qu’elle ne rendra jamais. Qu’elle nous annonce un savon, une brasserie, une poudre de riz, une coiffure, une pommade, un rasoir, ou un appel à l’insurrection, et elle sera de l’Art ! Qu’elle nous parle de la patrie, de Dieu, de l’obéissance aux lois, et elle n’en sera plus ! Elle est le contraire exact de l’édifice, et il se produit logiquement pour elle le contraire de ce qui se produit pour lui. Nous ne connaissons pas, en réalité, de beaux théâtres, de belles gares de chemin de fer, de belles expositions universelles et de beaux casinos, c’est-à-dire de beaux édifices industriels ou futiles, et il n’existe, au contraire, de bonnes affiches, que dans le domaine de la futilité, de l’industrie ou de la révolution.

Ainsi, en dehors de l’image aimable, qui éclaire nos rues de caprice et de joie pimpante, l’affiche d’art ne peut rien pour le bien, et peut tout pour le mal. Elle n’engagera jamais à respecter les femmes, les lois, l’autorité, la famille, la religion, la propriété, la justice, et tout ce que toute morale engage à respecter, mais poussera tout naturellement à le violer. Vous figurez-vous le bon citoyen, le bon père de famille, le bon mari, le bon pauvre, le bon riche, et le bon ouvrier, tirés en quatre couleurs, et collés sur nos murailles, entre une fille à bicyclette, une eau de Jouvence et un pitre éclatant de rire ? Mais voyez la moindre annonce de ménage, de droguerie ou de parfumerie ! Comme le placard, ici, devient tout de suite saisissant ! Comme on y retrouve bien la descente de courtille et l’étourdissement de bal masqué, l’espèce de danse équivoque et bousculée qu’est la partie brillante, ou pressée de l’être, de la Société ! Comme toutes ces figures de carnaval et de bamboche, et tous ces décolletages de plages galantes ou de cabinets particuliers, triomphent bien par leur folie même et leur gaîté de corrosion, sous le ruissellement des lumières exaspérées ! Quelle trépidation, quelle titillation de couleurs perpétuelle, accomplissant bien leur fonction trépidante et titillante ! Quelle jolie et chatoyante séduction vous invitant à chaque pas à jouir de