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Sierra-Leone la négrophilie insensée des Anglais, pour être à tout jamais dégoûté de suivre dans cette voie le grand peuple qui nous a, en matière coloniale, assez de fois montré le chemin.

Les arrivans ou ceux qui se proposent de ne rester que peu de temps dans le pays éprouvent encore une démangeaison singulièrement regrettable pour ceux appelés à venir derrière eux : c’est celle de la générosité mal entendue. S’il est un sentiment qui paraisse incroyable, paradoxal, naïf, disons le mot, aux indigènes, c’est assurément celui-là. Incapables de l’éprouver eux-mêmes, ils considèrent comme une rare aubaine de pouvoir l’exploiter chez les autres jusqu’à ses plus extrêmes limites. Un don n’est pour eux que le prélude de dix autres dons, une demande satisfaite en appelle vingt autres. Le blanc qui s’imagine, par le nombre et l’importance de ses largesses, s’ouvrir une route commode et libre, pavée de reconnaissance, ne fait au contraire qu’autoriser l’expression de plus insatiables convoitises. Il en est la plupart du temps la première victime. C’est, en termes populaires mais concrets, « gâter les prix ». Certaines régions ont été ainsi complètement perdues par des explorateurs maladroits, et l’infortuné qui s’y aventure après eux se voit rançonné sans vergogne, contraint d’acheter à des prix exorbitans les choses les plus indispensables à sa vie.

Il est, avons-nous dit, parmi les desiderata dont la réalisation est condition sine qua non du développement de la colonie, des vœux dont on n’entrevoit l’exécution que dans un avenir plus ou moins prochain, et d’autres au contraire qui réclament une intervention immédiate, urgente, une solution que l’on regrette de n’avoir pu acclamer déjà.

Au nombre des premiers, nous avons cité plus haut la création de routes, ou tout au moins de chemins muletiers, de voies ferrées, l’amélioration des rivières, la suppression ou l’utilisation des rapides ; nous aurions pu ajouter : un sanatorium à Drewin et un port à Sassandra. Chose curieuse, tandis que Fresco passe avec raison pour le point le plus malsain, le moins habitable de la côte, Drewin, qui en est assez rapproché, jouit au contraire d’une réputation de salubrité justifiée. L’idée, depuis longtemps émise, d’y construire un sanatorium est donc heureuse, et il serait à souhaiter qu’on l’examinât comme elle le mérite.

La question d’un port où les navires pourraient échapper à la houle implacable du golfe offre également un intérêt sur lequel il est inutile d’insister. Or il existe précisément à Sassandra une digue naturelle de rochers qui semble l’amorce providentielle d’une jetée, d’un brise-lames conçu par la nature. Un autre projet consisterait à utiliser la « vallée profonde », sorte de