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marché, par une boisson plus chère, le vin par exemple, ce qui favoriserait la production française au lieu d’enrichir quatre ou cinq maisons de Rotterdam, de Schiedam et de Hambourg. Déjà les noirs frottés de civilisation dédaignent ce casse-poitrine trop démocratique pour eux ; rien de plus facile que de flatter leur vanité enfantine en leur démontrant que la seule boisson vraiment distinguée est le vin, le n’zan brofoé, ce « gin des blancs ». L’exemple donné par les Allemands, dans leur Est-Africain, est d’ailleurs à méditer et à imiter : nous ne savons pas que la prohibition draconienne du gin et du tafia entre Zanzibar et le Tanganyika ait plongé dans l’oisiveté les peuplades protégées malgré elles.

Dans l’ordre administratif, une autre amélioration est également des plus désirables. Croirait-on qu’il n’existe à la côte aucun système de ravitaillement des administrateurs détachés dans le haut pays ? Personne n’est chargé de leur subsistance, de l’exécution de leurs commandes. Nous n’ignorons pas qu’ils doivent subvenir eux-mêmes à leur entretien, mais comment un fonctionnaire n’est-il pas préposé, en quelque sorte, à la surveillance de leur approvisionnement ? Que le messager envoyé par eux oublie la commission en route, que la factorerie chargée de l’expédition soit négligente, que les porteurs des précieuses conserves et des providentielles pommes déterre s’attardent à Grand-Bassam ou dans la forêt, comme il arrive si fréquemment, et le malheureux fonctionnaire retenu à son poste, se voit acculé à la ration de riz, au pain d’ignames, à la maigre chère des poulets étiques. Il nous souvient qu’un administrateur de nos amis, en résidence dans un poste très avancé, après avoir attendu plus de six semaines l’arrivée d’une urgente commande de vivres, et réduit littéralement à la disette, dut un jour descendre clandestinement à la côte et venir chercher lui-même de nuit à Grand-Bassam ses provisions qu’on avait oubliées. Au point du jour il repartit ; ce fut une promenade de 90 lieues dans le seul dessein de se procurer à manger. On aurait pu la lui épargner.

Parmi les abus auxquels sont souvent trop portés ceux surtout des colons qui viennent de débarquer à la côte, le plus funeste peut-être est celui qu’on nous permettra de désigner sous le nom de négrophilie à outrance. Gardons-nous de l’excès même dans les plus généreux sentimens. Quelqu’un ne parlait-il pas déjà devant nous, à la Côte d’Ivoire même, de suffrage universel ? Les résultats encore plus navrans que risibles de l’élévation à la cité française des noirs de nos Antilles et du Sénégal sembleraient cependant avoir dû donner à réfléchir à nos plus intrépides utopistes. Au surplus, il suffit de voir ce qu’a fait de