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certains points, pourtant, au-dessus de Tiassalé, ils gênent très sensiblement le commerce. Ceux de la Comoé sont beaucoup plus importans. Les formations dioritiques et granitiques d’Yakassé, de Kassi-Amonkrou, d’Annocankrou, d’Amenvo surtout et de Dabiabosson, traversent tout le fleuve de leurs marches et de leurs écueils parfois formidables. Le rapide d’Amenvo est le plus sérieux de tous par sa largeur, le volume des eaux, la rapidité du courant, le colossal amoncellement des roches. Les petites pirogues parviennent à le remonter très difficilement à l’époque des crues : à la saison sèche le transbordement est inévitable.

La rivière Bia est complètement innavigable à partir des magnifiques chutes d’Aboiso, à quatre heures de vapeur de son embouchure ; le Tanoé, plus heureux, jouit d’un cours libre pendant plus de 45 lieues et ne commence à être obstrué de barrages qu’au de la d’Alankwabo, en terre anglaise. Il est juste de dire que son cours, extraordinairement sinueux, n’arrose pas en réalité 45 lieues de pays en ligne droite, mais permet cependant, aux eaux hautes, de gagner Nougoua en bateau à vapeur. Il est gardé au surplus par un fétiche particulièrement sacré qui oblige les européens à quelques rites et à quelques précautions.

La forêt constitue elle-même un troisième obstacle, considérable, à la pénétration européenne. Les chemins indigènes, que les cartes qualifient pompeusement de « routes », sont de vagues pistes humaines parfois presque impraticables. Encombrés d’arbres abattus, abordant de front, sans jamais songer à les tourner, des rampes abruptes, des descentes inopinées, empruntant, quand la direction s’y prête, le lit des rivières, se perdant dans des broussailles, dans des marécages, ils réalisent le type le plus rudimentaire de la voie de communication. En outre, la continuité uniforme de la forêt, l’absence de points culminans rend des plus difficiles la topographie, l’étude des bassins hydrographiques. L’horizon manque ; comme aux Guyanes, l’on ne voit pas à 20 mètres devant soi. Quant à pénétrer, la hache à la main, sous la futaie millénaire, pour reconnaître les ondulations du terrain, c’est un travail pénible, exigeant beaucoup de temps et une nombreuse escorte. Ce procédé n’est guère réalisable que sur les points les plus intéressans. Nous ne parlerons que très incidemment des hôtes malfaisans de ces taillis gigantesques. Outre l’éléphant, que l’on n’aperçoit jamais, quelques léopards, quelques chats-tigres habitent les fourrés profonds ; les chimpanzés sont assez rares ; en revanche, les rivières, le Tanoé surtout, sont peuplées de caïmans ; on rencontre même des hippopotames dans le Comoé. Mais une mention spéciale doit être réservée aux serpens, qui sont nombreux, bien que fuyant l’homme, aux fourmis