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fortunes aux temps où les noirs se trouvaient assez naïfs encore pour acheter la mauvaise pacotille des factoreries trois ou quatre fois leur valeur en poudre d’or. Il y eut très certainement à cet égard une époque de cocagne pour les trafiquans un peu hardis. Bosman, confirmé par Des Marchais, dit qu’à l’époque où les Portugais possédaient Elmina, ils ne se donnaient pas la peine d’ouvrir leurs magasins si les marchands noirs ne leur apportaient en or la valeur énorme de 50 marcs ou 4 000 florins. « Aussi, ajoute Des Marchais, le commerce d’Afrique ; devait rapporter alors des profits énormes au Portugal… » Cette lune de miel commerciale est malheureusement à jamais passée. La concurrence des maisons de commerce entre elles, la baisse considérable de valeur de l’huile de palme dont nous parlions tout à l’heure, la hausse concomitante de l’or indigène, la disparition de l’ivoire, ont porté rapidement au commerce d’échange des coups dont il est à prévoir qu’il ne se relèvera pas. On gagne encore sur la traite de la poudre d’or, en dehors même des pesées plus ou moins honnêtes au moyen desquelles certains commis ne se font pas faute d’engraisser un peu leurs maigres profits. Bien que l’once standard d’or vaille aujourd’hui à la Côte d’Ivoire 96 francs contre 91 au Transvaal ; bien que la poudre d’or apportée aux factoreries par les indigènes se trouve mélangée dans une forte proportion — 1/6 environ — de cuivre naturel ou limé, de fer oligiste, de pyrite de fer, les maisons de commerce trouvent cependant un bénéfice assez sérieux dans la majoration considérable de la valeur des pagnes multicolores et des objets de bazar ardemment convoités par les naturels. Il y a également un gain assez sensible sur le gin et le caoutchouc. L’huile de palme paie strictement ses frais. Quant au sel, malgré un assez fort renchérissement sur le prix de revient aux comptoirs, il subit un tel déchet du fait de la barre, qu’il ne saurait être considéré comme d’une traite très lucrative. La circulation de la monnaie du pays, la manille, sorte de demi-bracelet en alliage de cuivre, dont la valeur correspond exactement à 18 centimes, donne également lieu à quelques petites spéculations.

Notre humble avis est donc que l’avenir amoindrira de plus en plus le rôle des maisons installées pourtant à souhait, en vue de la traite. Leur but paraît, au contraire, devoir se transformer dans le sens industriel. En un mot les factoreries deviendraient les bases d’opération à la côte des plantations et des exploitations industrielles disséminées dans l’intérieur. Le commerce d’échange n’interviendrait plus dans leur existence que comme accessoire,