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I

Aujourd’hui que l’Afrique, cessant de s’appeler la terre mystérieuse, achève, presque avec hâte, de livrer tout son secret ; que la « vaste région inconnue » des cartes où s’appliquait notre enfance, se restreint à quelques territoires peu accessibles du Sahara et du Congo moyen ; à présent que toutes les puissances de la vieille Europe ont, en un partage international destiné à dissiper un peu les nuages de revenir, délimité sur ce passif échiquier les zones de leurs convoitises, il convient de reprendre haleine et de se demander quelles sont les provinces réellement utilisables de ce vaste domaine égal à douze ou treize fois la France, conquis avec tant de précipitation sur le continent noir par notre violent effort colonial de ces dernières années.

La réponse n’est pas, hélas ! celle que notre patriotisme voudrait entendre. Bien peu de ces possessions, et, à la vérité, non des plus importantes, paraissent appelées dans l’avenir au rôle glorieux de succursales de la patrie, de Frances d’outre-mer. Elles s’appellent Dahomey, Guinée, Madagascar, Côte d’Ivoire. Toutes quatre abondent en produits identiques, en heureuses ressemblances. Encore s’en faut-il beaucoup que le premier coup d’œil jeté sur la dernière, — elle seule nous occupe ici, — soit suggestif d’espérance et réconfortant.

On a souvent décrit le tableau singulièrement monotone et triste qu’offre la côte de Guinée au voyageur encore sous le charme du pittoresque littoral de Konakry. L’amiral Aube en a tracé un portrait qui à lui seul suffirait à dissuader le simple touriste de tout débarquement dans cette contrée inhospitalière ; le défilé interminable de la ligne basse et uniforme de forêts qu’on longe pendant plus de deux cents lieues, sans un relief à l’horizon, décourage le regard. Une « barre » continue, de Libéria au Niger, plus ou moins forte, plus ou moins dangereuse selon les différens fonds de la mer, défend encore l’accès du rivage et ajoute à son aspect farouche. La zone du littoral comprise spécialement sous le nom de Côte d’Ivoire offre en outre la plupart du temps, derrière la plage à pente rapide sur laquelle se brise la barre, un système de lagunes parallèles à la côte, incluses dans la forêt et qu’ont lentement formées les fleuves refoulés par les sables de la mer. Et derrière ces lagunes, aux eaux à demi stagnantes, vaste champ de fermentations palustres, la forêt recommence, très haute, très serrée, sans autres clairières que les aires des villages, pour s’arrêter, à une centaine de lieues dans le nord, devant la