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révolution sociale. Et qui contestera l’importance de ces conquêtes ? N’est-ce pas sur le terrain municipal que l’expérience pratique du socialisme peut le mieux se tenter ? N’y a-t-il pas une grande différence entre un mandat purement représentatif, cette viande un peu creuse, et la possession du pouvoir exécutif local ? Toutes les questions d’administration locale, l’eau, le gaz, l’électricité, la voirie, les logemens ouvriers, la réforme sanitaire, les séries de prix, la taxe du pain, l’octroi, — en vérité n’y a-t-il pas là de quoi réaliser sans bruit quelques-uns des articles essentiels du programme socialiste ? Il est vrai que pour cela il faudra renoncer aux manifestations provocantes, se priver du plaisir de braver le patriotisme populaire, éviter les scandales de Lille, en un mot, se faire sages et modestes : le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? C’est ce qu’on a semblé comprendre à Londres où, malgré la présence des anarchistes et en dépit des ridicules protestations de certains doctrinaires de l’absolu, on s’est prononcé nettement en faveur de l’action politique.


V

Tel est donc le bilan de ce Congrès. Il n’a pu résoudre la question brûlante de l’anarchie. Il a accepté, subi, beaucoup plus qu’il ne l’a faite, la solution de la question de l’action politique, telle que la force des choses l’a peu à peu amenée. Dans cette assemblée internationale, on peut dire que tout ce qui a eu un caractère délibérément international a été secondaire, sans intérêt, modelé sur le passé, tandis que chaque nation a apporté un élément nouveau, quelque important résultat, quelque modification essentielle de l’état de choses antérieur. Ce qui avait fait la faiblesse de la première Internationale, c’avait été ce qui pouvait précisément faire illusion sur sa force : à savoir, le fait que l’édifice avait été commencé par en haut, qu’il manquait de fondemens et qu’il flottait en l’air. Au contraire, au Congrès de Londres, on a pu se rendre compte de l’état inorganique, de l’absolue imperfection des institutions centrales de l’internationalisme, et de la puissante assiette du socialisme national dans chaque pays d’Europe. Les Congrès de la première Internationale avaient offert par leur composition, par leur ordre du jour, par leurs débats, un intérêt qui dépassait infiniment celui qu’eussent présenté à cette heure les modestes rudimens d’organisation socialiste dans l’intérieur de chaque Etat. Au Congrès de Londres, médiocre pastiche de ces conciles d’antan, assemblée vouée au désordre, au rabâchage et aux stériles déclamations, siégeaient