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pour collègues les pires ennemis de leur parti. Il est certain qu’il y a une disproportion risible entre la grandeur des prétentions, les fanfares de la réclame, les complaisans :


Nescio quid majus nascitur Iliade


de la presse amie, et l’état au vrai des résultats obtenus. Le ridiculus mus se présente forcément à l’esprit, et l’on est tenté de se demander s’il valait bien la peine de déranger huit cents socialistes de marque pour démontrer leur impuissance à demeurer entre eux, en petit comité.

Allons toutefois au fond des choses. Ce n’est pas précisément ceux qui s’amusent le plus de ce contretemps qui souhaitaient avec le plus d’ardeur voir le Congrès abattre beaucoup de besogne. Ils devraient savoir gré aux anarchistes, dont c’est souvent le métier, d’avoir ainsi gêné les socialistes ; mais l’amertume ne se comprend pas dans leurs jugemens sur un intermède aussi propice aux amis du statu quo. Et puis, en fait, toute logomachie mise de côté, est-ce qu’à l’heure présente la question des rapports de l’anarchie et du socialisme ne domine pas toutes les autres ? Je sais bien qu’elle n’a été abordée que de biais, par le petit côté ; je sais également que, grâce à la stupide organisation dont j’ai parlé, elle n’a été résolue ni dans un sens ni dans l’autre, puisque, chassés par une porte, les anarchistes sont rentrés par la porte d’en face ; qu’expulsés comme disciples de Bakounine ou de Kropotkine ils sont revenus narguer l’assemblée comme délégués inviolables de tel ou tel groupe plus ou moins fictif et qu’enfin, condamnés à une énorme majorité par le Congrès en séance plénière, ils ont obtenu gain de cause de cette surprenante section française. Il n’en demeure pas moins tout naturel que le socialisme soit hanté de ce problème.

A première vue, il semble que la solution en soit bien simple. S’il existe une opposition absolue entre deux principes, c’est bien entre le principe socialiste et le principe anarchiste qu’elle creuse un abîme. Le premier affirme la stricte subordination des droits de l’individu au bien commun ; le second l’autonomie illimitée de l’individu. Le premier demande l’intervention de l’Etat, de la contrainte légale, dans une foule de domaines qui jusqu’ici y sont soustraits ; le second voit dans l’État un mal ou plutôt le mal en soi qu’il faut abolir. Le premier croit que la libre concurrence, le libre développement des égoïsmes, la libre poursuite des intérêts particuliers aboutissent fatalement à l’oppression, à l’inégalité, au malaise social ; et il réclame, à titre de remède pour aujourd’hui et de prévention pour l’avenir, le strict