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compagnon Landauer, présent à Londres, et son Sozialist combattent le Vorwærts et le comité directeur. Le socialisme allemand a une place trop importante dans l’organisme politique de l’empire ; il est trop étroitement mêlé à tout ce qui se fait au Reichstag, où tôt ou tard il aura une importance numérique proportionnelle à ses forces réelles et égale ou supérieure à celle du centre catholique ; il est, en un mot, un trop gros et trop haut seigneur pour que le Congrès de Londres puisse être dans son histoire autre chose qu’un incident secondaire.

On me permettra de ne pas m’étendre sur la délégation française. Chaque pays jouit de ses propres socialistes, et les nôtres méritent cette justice qu’ils ne laissent pas mettre leur chandelle sous le boisseau. A vrai dire on peut même trouver qu’ils occupent un peu trop le public, non pas de leurs idées, mais d’eux-mêmes, de leurs personnes, de leurs querelles et de leurs petites affaires. N’ont-ils pas trouvé le moyen de réduire pour la masse du bon peuple de France ce Congrès de Londres, qui pouvait avoir son intérêt propre et son haut enseignement, à une nouvelle guerre civile et à une vaste empoignade ? Je ne serai pas assez injuste pour prétendre qu’il n’y ait rien de fondé dans les protestations et dans la mauvaise humeur de nos parlementaires socialistes. Il est dur d’être si peu compris chez soi, que personne n’ait voulu voir le caractère vraiment conservateur des thèses soutenues par MM. Jaurès et Millerand au Queen’s Hall et l’ironie du destin qui les a fait succomber sur un pareil terrain. Injustice ou inintelligence, l’opinion n’a pas semblé attacher d’importance au fond des choses. On a trouvé plaisant ce spectacle de grands manœuvriers battus par leurs propres armes, de ces deux grands chefs du socialisme parlementaire français : Prodicus et Gorgias, ou encore Hortensius et Cicéron, arrivant à Londres pour faire la roue et triompher devant les représentans du parti dans le monde entier et réduits à néant par la coalition des blanquistes, des allemanistes, de quelques indépendans à tous crins et des anarchistes pur sang. On rit encore de voir la tissure grandir et la ligue formée à grand’peine à la Chambre menacer ruine en France à la suite du Congrès où ont pourtant triomphé toutes les idées de ses auteurs. Tout cela est assez naturel, étant donné la nature humaine. Et pourtant il reste que sans ces parlementaires, sans la permission tout exceptionnelle qui leur a été donnée de constituer une seconde nationalité et de créer pour les besoins de la cause ce que l’on a appelé la Navarre à côté de la France, notre pays fût demeuré sous le coup d’une affirmation de la méthode révolutionnaire pure et simple et d’une