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trop-plein de son enthousiasme sur la loi d’airain des salaires, sur l’appropriation collective du soi et des moyens de production. Dans un petit volume d’Essais, publié en collaboration, les plus forts, ceux qui étaient munis de connaissances, d’idées ou de style, firent pour le socialisme superfin de la jeune génération ce qu’avaient fait vingt-cinq ans plus tôt pour l’hétérodoxie anglicane les auteurs d’ Essais et Revues. Ce manifeste panaché mit quelques noms en évidence. M. George-Bernard Shaw en est l’un des plus digues d’intérêt. Ce socialiste austère est de son métier critique de théâtre, voire de musique. Il fait dans la Saturday Review des articles hebdomadaires dont l’impertinence égotiste et le sensationnisme analytique n’est pas sans devoir quelque chose à M. Jules Le maître. C’est lui qui, dans le Star, a rendu compte, — avec un mélange assez piquant d’encens et de vinaigre, — des représentations de Bayreuth cette année, et il a dû dévorer l’espace pour se précipiter de la colline sacrée du Festspiel à la salle de Langham Place. M. Sidney Webb, autre Fabien, n’est pas tout à fait du même acabit. C’est la science infuse. De moitié avec sa femme, une ancienne inspectrice des manufactures qui a laissé une trace profonde de son activité, il a écrit le premier volume d’une histoire des Trade Unions qui est, sans exagération, un monument. Membre du Conseil de comté de Londres, il s’y est spécialisé dans ces questions sanitaires où le socialisme municipal est si fort à sa place, et il a conquis l’autorité incontestée d’un expert. Au Congrès, où il a dû parfois se sentir bien mal à l’aise, il avait été chargé d’un rapport sur l’organisation de l’enseignement dont M. Keir-Hardie a fait repousser les conclusions.

La S. D. F., ou fédération sociale démocratique, est un autre corps un peu irrégulier, un peu en marge du prolétariat. Certes, il comprend des ouvriers ; — on se le dit et on se les montre, en effet. Il est de plus d’une orthodoxie révolutionnaire impeccable : tellement orthodoxe et tellement révolutionnaire qu’on a parfois dit méchamment que sa raison d’être unique était d’être à l’extrême gauche de qui que ce fût. C’est néanmoins une association un peu bourgeoise d’origine. M. Hyndman, qui en est le fondateur et le grand chef, ne l’a-t-il pas mise au monde pour suppléer aux insuffisances du trade-unionisme ouvrier ? Ce gentleman fort correct n’a-t-il pas visé — y a-t-il renoncé ? — à être le Ferdinand Lassalle de l’Angleterre ? Sur le front de son acolyte, de son prophète ou de son lieutenant, M. Lansbury, se pose comme un reflet de la gloire de ce machiavélisme. D’aucuns regrettent de voir se fourvoyer dans cette galère des hommes de parfaite et transparente bonne foi et de haute valeur. M. William