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que les anarchistes, chassés d’un côté, ont pu rentrer de l’autre, imposer à l’assemblée d’énervantes discussions et se moquer impudemment de ses votes impuissans. C’est que l’on ne sait ou ne veut pas choisir entre deux conceptions, qui exigent chacune toute une série de mesures d’application particulières et qui ne sauraient se marier l’une à l’autre. S’agit-il d’un parlement du travail ? Idée ambitieuse ; non absurde. Qui n’a entendu parler des conférences représentatives de telle ou telle grande industrie ? L’autre jour, à Aix-la-Chapelle, c’étaient les mineurs du monde entier. Que font-ils pour éviter l’intrusion d’étrangers et pour assurer la suprématie de la majorité ? Une scrupuleuse vérification des pouvoirs, la fixation préalable du nombre des mandats, la proportionnalité du vote, c’est-à-dire l’attribution à chaque délégué du total des suffrages qu’il représente, voilà les moyens simples mais suffisans, mis en œuvre par les mineurs. Il n’est pas très difficile de deviner pourquoi les organisateurs n’ont pas osé recourir à ces mesures héroïques. Il ne serait demeuré que des délégués authentiques de groupes véritables : grand avantage moral, — mais il ne serait resté qu’un fort petit nombre de ces phénix, pitoyable résultat pratique. D’autre part, reconnaître franchement que l’on n’était et ne pouvait être qu’une assemblée de parti, c’eût été un moyen fort sûr de couper court à certaines difficultés, qui ont failli étrangler le Congrès, mais c’eût été un pénible aveu pour des hommes qui aspirent à jouer le rôle de représentans en titre de l’humanité et de fondés de pouvoirs de la révolution.


II

Le Congrès débuta sous de tristes auspices, le dimanche 26 juillet, par un meeting qui devait être « monstre », à Hyde Park. Il s’agissait dans cette plaine historique, sur ce gazon foulé par les pieds de tant de vaillans serviteurs du progrès, à l’ombre de cet arbre des réformateurs, qui a vu tant de grandes et majestueuses manifestations populaires, de présenter au Londres démocratique les plus illustres délégués étrangers et de lui faire voter du même coup une résolution en faveur de l’établissement de la paix universelle par la révolution sociale. L’hameçon était un peu grossier pour les bons partisans de la paix, gens pourtant sans défiance ni soupçon. Ils flairèrent quelque piège et avertirent par les journaux leur clientèle de s’abstenir. Se souvenaient-ils de ces congrès de la paix et de la liberté à Genève, avant 1870, où Victor Hugo, président d’honneur avec Garibaldi,