Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou plutôt les noms seuls ont été modifiés, et le vieux Baal-Hammon a consenti à se travestir en Saturne pour entrer plus facilement dans le panthéon du vainqueur. Au fond rien n’était changé, et le fidèle, en priant Saturne-Auguste, avait dans le cœur l’image du dieu qu’adoraient ses pères, comme il songeait à Tanit quand il invoquait Junon-Reine. L’important, c’est que les anciens habitans du pays, comme les nouveaux, eussent l’air de s’entendre, et que la religion ne mît entre eux aucune barrière. — Que n’en est-il de même aujourd’hui !

Après les temples, ce qui devait le plus frapper l’attention du visiteur dans une ville romaine, c’étaient les édifices construits pour donner des fêtes au peuple ; il convient de les étudier à part.


II

On sait à quel point l’autorité romaine se préoccupait des plaisirs populaires. C’était un principe de gouvernement à Rome qu’il fallait avant tout nourrir les pauvres gens et les amuser. L’empereur Probus avait coutume de dire « qu’il n’y a rien de plus agréable que le peuple romain, quand il a bien dîné, » et, dans une lettre qu’Aurélien adresse à ses sujets pour leur annoncer qu’il a vaincu le tyran Firmus, on lit ces singulières exhortations : « Assistez aux jeux publics, passez le temps aux courses, tandis que nous nous occupons des affaires ; nous prenons pour nous la peine, soyez tout au plaisir. »

La même politique était appliquée dans les provinces, et l’on y avait aussi un très grand souci d’amuser la foule ; c’est ce qui fait que les ruines des cités antiques contiennent les débris de tant d’édifices destinés aux plaisirs publics. Il en était à Dougga comme partout.

On y a d’abord retrouvé les restes d’un cirque, qui est presque entièrement ruiné. Il était situé au plus haut de la ville, tout près du rempart, et l’on pense qu’il a été victime de ce voisinage. Quand les Byzantins éprouvèrent le besoin de se fortifier dans Dougga, ils prirent naturellement, pour construire ou réparer la muraille, les pierres qui étaient le plus à leur portée ; c’est ainsi que furent démolis les gradins du cirque. Nous n’avons plus aujourd’hui de l’antique monument que quelques amas de pierre, et les deux extrémités arrondies de ce qu’on appelait les bornes (metæ), autour desquelles tournaient les chevaux et les chars.

Heureusement le théâtre est intact. Nous en devons le déblaiement à l’un des hommes qui, dans ces dernières années, ont