Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que personne en soit étonné : en Afrique l’archéologie jouit d’un avantage qu’elle ne possède pas ailleurs. Les gens que le présent seul intéresse ont peu de goût pour une science qui ne s’occupe que des choses d’autrefois et ils la relèguent volontiers dans les universités et les académies. Mais, en Afrique, le passé étant la garantie de l’avenir, on le traite avec plus d’égards ; on interroge ceux qui savent ce que le pays a été autrefois pour prévoir ce qu’il pourra devenir. Il n’est donc pas étonnant qu’on les ait compris parmi ceux que l’on conviait à le visiter, et ce sont eux peut-être qui ont pris le plus de plaisir et trouvé le plus de profit dans ce beau voyage.

Je n’ai pas l’intention de dire tout ce qu’ils y ont remarqué ; il faut se borner. Parmi tant de villes qui possèdent encore de beaux restes d’antiquité, deux m’occuperont seules. Je conduirai le lecteur au cirque et au théâtre de Dougga et dans l’amphithéâtre d’El-Djem ; et, en les visitant, j’essaierai de traiter une question qui peut nous aider à mieux connaître la, vie des Romains.


I

Dougga a conservé presque entièrement son ancien nom : les Romains l’appelaient Thugga. Aucune ville de la province d’Afrique n’est aussi riche en ruines antiques ; avec un peu d’argent dépensé d’une manière intelligente et quelques fouilles bien dirigées, on pourrait en faire une grande curiosité ; elle deviendrait facilement pour la Tunisie ce qu’est Timgad pour l’Algérie.

Aujourd’hui c’est un tout petit village, de quelques centaines d’habitans, accroché à une montagne escarpée, dans un pays riche et pittoresque. Ce pays a de tout temps attiré les cultivateurs ; à une époque lointaine, il était habité par une race qui enterrait ses morts sous des dolmens, comme en Bretagne. Quoique le sol ait été fort remué depuis ces temps reculés, on retrouve, dans la campagne, un grand nombre de ces vieilles sépultures.

Les Phéniciens y vinrent ensuite, et ils paraissent s’être assez bien entendus avec les populations primitives ; il nous reste un monument célèbre qui témoigne encore aujourd’hui de cet accord, c’est le mausolée d’un prince numide qui portait, quand il était intact, une double épitaphe, libyque et punique. Les inscriptions libyques — c’est-à-dire celles qui sont rédigées dans l’ancienne langue des Berbères, — sont rares et obscures ; celle-ci, outre qu’elle était très nettement tracée, tirait une grande lumière du voisinage de l’inscription carthaginoise, l’une devant servir à interpréter l’autre. Un Anglais, Th. Reade, consul général à Tunis, voulut