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national et du sens religieux, et nous les croyons volontiers. Seulement la masse ne distingue pas. Peu à peu elle s’habitue et on l’habitue à identifier le non-orthodoxe avec l’ennemi de la Serbie, et ce sont précisément ces non-orthodoxes qu’il faudrait gagner. Cercle vicieux, antithèse entre la nécessité de ne pas laisser périr au dehors la nationalité serbe, et celle de laïciser au moins l’esprit de cette nationalité, si l’on veut que l’élément catholique s’y rallie ; difficulté si grave que de bons esprits ont fini par entrevoir l’accession du monde catholique au monde serbe comme solidaire de l’union des Eglises. Or, à l’heure actuelle, le pas concordataire n’est point encore franchi

Que conclure de cette accumulation d’obstacles devant une théorie fondée en histoire et séduisante sous bien des rapports, sinon que le « serbisme » dessert ses propres intérêts, quand il déborde trop tôt, en pleine paix, pour le vain plaisir de faire scintiller des formules, des frontières évidemment mal tracées, mais que la force seule rectifiera ? Autres sont les exemples qui viennent de Cettinje, où, fièrement aussi, on se dit « Serbe », — mais sans mêler au mot ce je ne sais quoi d’inutilement doctrinaire et d’absorbant dont les Croates, théoriciens aussi, ont pris ombrage. C’est de là, pourtant, qu’au cours de ces dernières années, eût pu sortir une rumeur d’hégémonie, si le prince Nicolas n’eût préféré servir les intérêts communs de la race par une fermeté modeste et féconde. Le Monténégro est aussi la terre classique des héros de l’indépendance chrétienne. Son régime d’autocratie paternelle, appuyé sur une dynastie nationale, impose davantage aux couches populaires slaves que le parlementarisme de Belgrade. Enfin la protection des tsars le couvre, leur amitié l’idéalise. S’il n’est pas le dépositaire de « l’idée russe », il l’est du moins de sa consigne ; et c’est un sens profondément politique qui l’a discerné. Nullement mêlé aux querelles des Serbes et des Croates ; abrité par sa configuration géographique contre un coup de main, contre les politiciens par ses mœurs et la forme de son gouvernement ; orthodoxe sans fanatisme, et l’ayant prouvé au monde civilisé par son concordat avec le Saint-Siège ; allié sûr contre le Drang nach Osten, non seulement par de vieux liens d’affection entre dynasties, mais du fait de l’installation de l’Autriche en Herzégovine, le petit État monténégrin a toutes les qualités et même la physionomie de la sentinelle : calme, fidélité, vigilance, jusqu’à la martialité pittoresque du costume, qui révèle, chez ses habitans, la nation armée par inclination et par habitude.

Pas plus à Cettinje qu’à Belgrade, une annexion définitive de