Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un missionnaire, le R. P. Tondini, savant barnabite, qu’il envoya jadis en Serbie, où quinze mille catholiques sont placés nominalement sous sa juridiction. Cette tentative remonte à 1883 : d’autant mieux justifiée qu’à cette époque de nombreux ouvriers italiens étaient employés à la construction de la ligne Belgrade-Nisch-Vranja. À ce prêtre, Italien lui-même, que le gouvernement de Belgrade autorisait à porter les secours de la religion à ses compatriotes, M. le comte de Khevenhuller, alors ministre d’Autriche, fit un jour cette déclaration étonnante : « C’est un principe de notre politique, hérité de Schwarzemberg et de Metternich, que l’Autriche exerce, par le fait de la juridiction d’un évêque autrichien, une sorte de contrôle sur les catholiques de Serbie. » Quant au concordat, dont l’éventualité seule était en cause, le ministre s’en exprimait ainsi devant un haut personnage : « C’est notre droit, c’est notre intérêt, de nous opposer à toute modification du statu quo religieux, non seulement en Serbie, mais même dans la principauté de Monténégro. » On peut juger par-là si la politique « héritée de Schwarzemberg et de Metternich » se défie des évêques qui, faisant passer les devoirs de leur état avant les services qu’on attend de leur qualité d’Autrichiens, se préoccupent des besoins moraux du monde slave.

La mission eut lieu, néanmoins, au cours des années 1883 et 1884, traversée par des intrigues de cabinet, guettée par la presse radicale serbe, et même par celle de Hongrie, mais assez honnêtement protégée, en somme, par le gouvernement de Belgrade, auquel elle fournissait l’occasion de prouver qu’il était quelquefois maître chez lui. On escomptait à Pesth quelques mésaventures, suscitées par le fanatisme orthodoxe au R. P. Tondini. Le Pester Lloyd, las d’attendre, finit par annoncer son assassinat : dans les rapports de gouvernement à presse officieuse, les petites erreurs entretiennent l’amitié. A la longue, il est vrai, le fanatisme apparut, mais sous une forme moins criminelle. Par une ironie singulière, l’envoyé de l’évêque de Djakovo, auquel le ministère viennois avait fait l’honneur de suspicions toutes spéciales, finit par passer, aux yeux des radicaux serbes, pour un émissaire de l’Autriche. Au mois de février 1885, la Brka s’écrie : « Depuis deux semaines il se manifeste à Nisch une épidémie de catholicisme. » Dans le numéro suivant, le missionnaire, Mgr Strossmaier et même le pape sont grossièrement caricaturés, de compagnie avec le métropolitain de Belgrade, qu’on représente frappant sur un tambour, auquel est attachée la pancarte Germanija. Dans un autre article, on trouve cette exclamation significative : « Ni Cyrille, ni Méthode n’ont été des moines