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Elles ne sont peut-être pas acceptables sur tous les points, mais elles le sont sur plusieurs. C’est à l’Europe à fixer définitivement ce qui est raisonnable, ce qui est équitable dans ce programme, de manière à assurer à la Crète le meilleur gouvernement, la meilleure administration possible, tout en ménageant la souveraineté du sultan. Mais est-ce là ce qu’elle fait ? En vérité, nous n’en savons rien. L’action des puissances semble devenir de plus en plus faible, de plus en plus molle, de plus en plus confuse à mesure que les événemens prennent un caractère plus grave. Les dernières nouvelles de Grèce accusent une recrudescence marquée dans l’envoi en Crète d’hommes et de munitions. Ce sont maintenant de jeunes officiers qui ont déserté pour voler au secours des frères crétois. On a l’air de s’en émouvoir un peu plus qu’à l’ordinaire ; on promet de prendre des mesures contre la répétition de pareils incidens : les mesures seront vaines et les incidens se renouvelleront. Les nouvelles de Crète ne sont pas meilleures. Les députés chrétiens et les insurgés auxquels ils servent de porte-parole avaient présenté leurs revendications à la Porte sous la forme d’un ultimatum ; ils avaient demandé une réponse dans un laps de temps qui est écoulé. Sans doute, cette forme impérative n’était pas acceptable ; mais il n’en était pas moins imprudent de laisser le délai s’épuiser sans que des négociations aient été entamées. Des dépêches dont nous n’avons pas pu contrôler l’exactitude ont annoncé que l’insurrection s’organisait en gouvernement révolutionnaire, ce qui, à la vérité, ne la change guère, et qu’elle était sur le point de proclamer l’indépendance de l’île, ou sa réunion à la Grèce, à moins même qu’elle ne cherchât un point d’appui dans les ambitions qu’on attribue à telle autre puissance. D’un jour à l’autre quelque éclat de ce genre peut se produire, ce qui ne manquerait pas de compliquer encore la situation Elle était relativement simple il y a quelques semaines ; elle l’est moins aujourd’hui ; elle le sera encore moins demain. Faudra-t-il dire bientôt, comme autrefois M. de Beust, qu’il n’y a plus d’Europe ? Mais si l’Europe est impuissante, de quel droit intervient-elle entre la Porte et ses sujets révoltés ? Son intervention n’est légitime qu’à la condition d’être efficace. Ses hésitations, ses tâtonnemens, l’embarras qu’elle manifeste, sont des symptômes de mauvais augure. De deux choses l’une : ou que l’Europe laisse la Porte libre de disposer de tous ses moyens pour réprimer l’insurrection, ou qu’elle apparaisse elle-même avec un programme de réformes et au besoin un programme d’action. Dans le premier cas, l’humanité aura 6ans doute beaucoup à souffrir, mais, si la crise est violente, du moins elle pourra être courte. Dans le second, la question sera bien près d’être résolue, au moins pour un temps, et c’est tout ce qu’il est permis d’espérer. Si la Crète est pacifiée, la pacification s’étendra à tout le reste de l’empire, ainsi qu’aux