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le contraire qui a eu lieu, et la destinée semble avoir voulu donner à cette ombre chagrine une compensation posthume. Depuis un mois les journaux ne sont pleins que du nom des frères de Goncourt. Sans doute cela tient en partie aux questions soulevées par le « Testament » et à ce coup de génie de la fondation d’une « Académie d’Auteuil ». Mais en outre, par la saison qui court, dans un Paris sans théâtres et sans Parlement, dans un été sans élections et sans grèves, dans un temps d’universelle villégiature où tout chôme, jusqu’au scandale lui-même, il faut pourtant une matière à chroniques. M. de Goncourt avait des préventions contre l’été. « L’été, disait-il, l’époque où l’on ne parle plus de nous dans les journaux… » C’était un préjugé. L’été, justement parce qu’il ne s’y passe rien, est pour la publicité une saison excellente.

Les journaux n’ont pas seulement beaucoup parlé de M. de Goncourt. Ils en ont surtout bien parlé. Je veux dire qu’ils en ont parlé dans les termes mêmes que M. de Goncourt eût souhaités. Car depuis qu’elle s’est laïcisée et que de la chaire chrétienne elle a émigré dans les colonnes des journaux, l’oraison funèbre s’est élevée à des hauteurs d’hyperbole encore inconnues au temps où le proverbe disait : « Menteur comme une oraison funèbre. » Peut-être a-t-on quelque peu négligé l’œuvre de l’écrivain, mais ç’a été pour insister davantage sur le caractère de l’homme. « Je crois être le type de l’honnête homme littéraire », avouait M. de Goncourt. Cela sert toujours de dire du bien de soi. On s’est conformé aux indications de l’auteur. On a célébré son dévouement à la littérature, son indépendance hautaine, son noble mépris de l’argent, son détachement des honneurs, son renoncement à tout pour la seule religion de l’art, et enfin et d’un mot sa grandeur d’âme. On a salué en lui la personnification la plus haute de l’écrivain dans les temps modernes. Trop est trop. Si nous réclamons, c’est qu’il y a toujours inconvénient à laisser s’accréditer une légende, et qu’au surplus les seuls argumens dont nous voulions user sont ceux que nous fournit M, de Goncourt dans les longues confidences de son journal ; c’est qu’après le plaisir qu’il y a à dire la vérité aux vivans, il reste le devoir de la dire aux morts ; mais c’est surtout que nous nous faisons du rôle de l’écrivain une trop haute idée pour accepter qu’on le mesure aux proportions de celui qu’a tenu M. de Goncourt.

La probité de la vie de M. de Goncourt ne fait ni doute ni question. Nous nous hâtons de le reconnaître ; mais nous nous refusons à admettre que la probité suffise aujourd’hui pour singulariser un écrivain et lui faire un titre à notre admiration ; nous ne pensons pas tant de mal du personnel de la littérature contemporaine et nous ne nous en laissons pas si aisément imposer par l’exemple de ceux qui déshonorent leur profession. Il y a parmi nous, et, pour ne pas aller les chercher