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Telle fut la fin héroïque du second martyr de Saint-Lazare à Alger. Si des hommes, pourtant, avaient dû trouver grâce devant les chefs de la milice turque, c’étaient ces missionnaires catholiques, car, sans exception, dans tous les conflits qui survinrent entre le roi de France et le Divan, ils jouèrent le rôle de conciliateurs et souvent réussirent à prévenir une rupture. Mais pas plus que la colère ou la vengeance, le fanatisme ne raisonne. Les Turcs, une fois exaspérés, frappaient tous les Européens sans distinction. Quelquefois, néanmoins, après avoir sévi contre le consul de France, ils chargeaient d’office le vicaire apostolique de remplir ses fonctions. Ainsi, pendant l’emprisonnement de M. Lemaire, consul, qui dura près d’une année (1736-1757), ce fut le chef de la mission lazariste, M. Bossu, qui fit l’intérim. Il en profita pour donner asile à une vingtaine de prêtres, de femmes et d’enfans fugitifs de Tunis, qui venait d’être pris par les corsaires d’Alger (2 août 1756). Ce fut aussi lui qui mit la dernière main au Coutumier de la mission d’Alger, sorte de manuel de conduite à l’usage des missionnaires d’Afrique, qui avait été composé par Jean Le Vacher et retouché par MM. Montmasson et Duchesne.

Le P. Théodore Groiselle clôt la série des Lazaristes, qui gérèrent le consulat de France à Alger (novembre 1757 à décembre 1763). On lira dans le Recueil des Lettres édifiantes le détail des affaires litigieuses Bava et Candio, qui étaient presque inextricables et dans lesquelles il déploya toutes les ressources d’un esprit délié et d’un caractère tenace. Il faut mentionner enfin le P. Cosson, qui fut vicaire apostolique d’Alger de 1778 à 1782, et le P. Chossat, qui exerçait les mêmes fonctions en 1830, comme ayant rendu aussi de grands services à la cause de l’affranchissement des esclaves.

Mais la charité de saint Vincent de Paul débordait hors des frontières des États barbaresques ; par-delà l’Afrique maure, il entrevoyait ce continent noir, le pays d’origine de ces nègres, que les Espagnols avaient transportés aux Antilles et au Mexique et qu’ils employaient sans pitié à l’exploitation des mines. Nouveau Las-Casas, il rêvait de leur porter, avec la bonne nouvelle du vrai Dieu, les moyens de s’élever à un état moral et social meilleur. Bien que son œuvre de Madagascar diffère entièrement, par ceux à qui il s’adressait, de celle de Barbarie, elle s’en rapproche cependant par l’unité des motifs et la similitude des moyens ; dans les deux cas il s’agissait de relever des hommes déchus à l’aide de la foi et de la charité. D’ailleurs, elle se rattache de trop près à l’action civilisatrice de la France dans le monde pour que