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France Charles X et du cardinal Lavigerie. Les premiers ont déployé de grandes forces militaires pour réduire Alger et Tunis ; mais toute leur force est venue se briser contre ces repaires de pirates, protégés par les tempêtes de la Méditerranée et par la stérilité du désert. Les derniers, mieux servis par les circonstances, ont enfin réussi à planter le drapeau français et la croix sur la terre d’Afrique.

Tout le monde connaît les œuvres du cardinal Lavigerie, qui assurent à son nom une place d’honneur parmi les bienfaiteurs de l’humanité[1]. On sait qu’à peine établi sur le siège épiscocal d’Alger, il s’est mis à construire des églises, à ouvrir des orphelinats pour les enfans arabes, à fonder des collèges et des séminaires. Mais bientôt son grand cœur s’est senti à l’étroit dans ce vaste diocèse. Répondant aux appels de l’héroïque Livingstone et de Léon XIII, dont l’âme vraiment apostolique était remplie de tristesse à la pensée de tant de créatures réduites en esclavage, Mgr Lavigerie a entrepris dans toute l’Europe occidentale ces campagnes contre la traite des noirs et contre l’esclavage qui ont abouti à l’acte général de la conférence de Bruxelles (juillet 1890) et du Congrès anti-esclavagiste de Paris (septembre 1890). Enfin joignant l’exemple à la parole, il institua la congrégation des missionnaires d’Alger, qui, sous le nom de « Pères blancs », ont entrepris l’évangélisation des Musulmans depuis l’Algérie jusqu’à l’Ouganda et à la région des Grands-Lacs. Mais, il ne faudrait pas croire que de Ximenès à Richelieu, et de Richelieu à Lavigerie, la chrétienté d’Europe n’ait rien fait pour les esclaves d’Afrique. L’intrépide cardinal et ses Pères blancs ont eu des précurseurs pacifiques, qui ont plus contribué à faire respecter le nom de chrétien, que les armadas de Charles-Quint ou les flottes de Louis XIV. Ses vrais précurseurs furent saint Vincent de Paul, les vicaires et les consuls Lazaristes et leurs obscurs avant-courriers, les Trinitaires et les Pères de Notre-Dame de la Mercy, qui, depuis le XIIIe siècle, ont arrosé cette terre d’Afrique de leurs sueurs, de leurs larmes, et souvent de leur sang. Je voudrais, dans les pages qui suivent, rendre justice à ces modestes religieux et montrer quel rôle capital ils ont joué dans l’histoire de la deuxième civilisation de l’Afrique, œuvre si humaine et si française à la fois, qui a duré des siècles et dont nous commençons seulement à recueillir les fruits. Mais il faut d’abord jeter un coup d’œil sur la situation des États barbaresques au XVe siècle.

  1. Voir le Cardinal Lavigerie et ses œuvres d’Afrique, par l’abbé Félix Klein ; Paris, 1893.