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faire converger vers un même but tous les mouvemens de ses troupes sur le théâtre des opérations.

Cette année, l’intérêt capital des plateformes résidait dans la question monétaire. La grandeur des intérêts engagés, la situation prépondérante que les États-Unis occupent dans la vie économique du globe, les conséquences qui résulteront de la décision prise en un sens ou dans l’autre, non seulement pour l’Amérique, mais pour le monde entier, me faisaient un devoir d’étudier de près la lutte actuelle. Déjà les journalistes américains, ces merveilleux fabricans de titres à sensation, l’ont baptisée : la bataille des étalons (baille of standards). La place d’un économiste était indiquée dans l’un et l’autre des états-majors, à la recherche des meilleurs points d’observation.

Je suis donc retourné aux États-Unis. Je les avais visités, il y a trois ans, au moment de l’Exposition de Chicago, de la foire universelle, comme les Yankees l’avaient nommée dans leur langue pittoresque : la grande République était alors secouée par une crise financière violente, qui avait coïncidé avec les premiers mois de l’Exposition, et qui provoqua une lutte parlementaire acharnée au sujet de la législation monétaire. Il s’agissait de mettre un terme aux achats de métal blanc par le Trésor, dont les caves s’emplissaient de lingots que le public ne lui demandait pas. Le monde financier et commercial redoutait un changement d’étalon. Seule, la fermeté du président Cleveland, qui arracha au Congrès, après trois mois d’efforts, le rappel de la loi Sherman, sauva le pays d’un bouleversement. Mais les peuples oublient vite les leçons de l’histoire ou les comprennent mal. Au lieu de renoncer définitivement à toute tentative de restauration de l’argent, une partie de l’Amérique se lance tête baissée dans une campagne qu’elle prétend faire aboutir à la libre frappe de ce métal.

Cette idée a pris naissance dans les États qui, tels que le Nevada, le Colorado, le Montana, l’Idaho, contiennent de nombreuses mines d’argent. Mais, chose singulière, elle a recruté de nombreux adhérens dans l’ouest, le centre et le sud, parmi les fermiers et même les ouvriers, qui s’imaginent que cette révolution monétaire améliorerait leur condition. Les Montagnes-Rocheuses et une partie du bassin de Mississipi croient voir là en même temps une occasion de s’affranchir de la suprématie des États de l’est, à qui leur richesse, la densité de leur population et leur longue expérience politique avaient assuré jusqu’à ce jour une légitime prépondérance dans la conduite des destinées de l’Union.

Il n’est plus possible aujourd’hui de juger l’ensemble du