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école, il passe son temps dans la bibliothèque de son père, lisant à tort et à travers tout ce qui lui tombe sous la main, et vivant dans le monde de rêves que lui ont créé ses lectures et l’isolement de sa pensée. Mais au milieu de ces rêves se pose soudain une question : Quel est le but de l’existence ? Est-ce à la seule fin de mener la vie qu’ils mènent, que son père et lui sont nés ? Accumuler des connaissances pour les voir s’effondrer dans l’anéantissement de la mort ou la perte de la mémoire, est-ce là le but dernier ? Traverser la vie sans une joie, dans un labeur incessant, pour aboutir à la sécheresse du cœur, au mépris de ses semblables, à l’indifférence et à la solitude éternelles, est-ce là le dernier mot de la destinée de l’homme ? Non ! Son père s’est trompé : il a pris le moyen pour la fin. Peut-être sa mère a-t-elle, après tout, choisi le meilleur lot ? Hans ira s’en assurer. Et il part pour Rome.

Le voilà bientôt menant une vie de gaîté et de plaisirs, au milieu d’un monde cosmopolite dont il devient l’enfant gâté. De la joie à tout prix ! voilà sa devise. Il a trouvé le but de la vie : être heureux ! En compagnie de jeunes gens et de jeunes filles de son monde, il fonde une société secrète, dont tous les membres doivent s’engager sur l’honneur à ne jamais tolérer une pensée triste, à ne jamais se laisser envahir par l’ennui ou le chagrin, à maintenir intacte en eux la gaîté de cœur. Chaque fois qu’un d’eux faillira à l’épreuve, se laissera vaincre par l’humeur chagrine, il donnera un gage. Et celui qui, à la fin de l’année, au prochain carnaval, se trouvera avoir versé le plus de ces gages devra organiser à ses frais une brillante mascarade : une procession qui célébrera le triomphe de l’humanité.

C’est Hans lui-même, le plus gai de tous au commencement, qui se voit condamné à payer cette amende : à mesure que le terme approchait ses gages s’étaient accumulés. Car un vide tous les jours plus profond s’était creusé dans son cœur, au milieu de ces plaisirs ! Un atroce ennui lui était venu de ces fêtes continuelles ! Il les fuyait maintenant, las jusqu’à l’écœurement. Il se réfugie au Vatican. Il a obtenu l’autorisation de travailler à la bibliothèque. Il prépare une étude sur l’origine et le développement de la musique ecclésiastique. Il fréquente les églises. Les splendeurs de ce culte de pompes et de symboles l’attirent ; les magnificences, les sublimes grandeurs d’une messe pontificale le remplissent d’enthousiasme. Mais bientôt, de nouveau, le vide se fait dans son cœur. Ses angoisses augmentent. Il parcourt la Ville éternelle, étudie les monumens, veut vivre dans le passé, dans le monde des anciennes gloires. Redevenant Hans Alienus, Hans