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pénétrante du vieux dramaturge norvégien. Elle a bien pu, comme lui, chercher la nouvelle forme dramatique, celle qui doit correspondre au roman réaliste. Mais on ne peut pas dire qu’elle y ait précisément réussi. Le génie d’Ibsen a pu résoudre le problème de la pièce à thèse jouée par des personnages-symboles, comme la pénétration, l’art particulier de Biörnson lui ont permis de substituer le développement psychologique à toute action proprement dite. Chez Anne-Charlotte Leffler la préoccupation de mettre sur la scène des idées plutôt que des caractères fait habituellement tort à la netteté de la thèse et nuit en même temps à la réalité des personnages. Son théâtre, à vrai dire, n’a pas tenu ce que semblaient promettre ses premiers succès. Aussi est-elle définitivement revenue au roman. Dans des peintures réalistes de la vie bourgeoise et mondaine, elle a continué à poser ses « questions », et, sans los résoudre, à faire ressortir du débat la condamnation de la société.

Née à Stockholm d’une vieille famille bourgeoise, elle faisait partie elle-même de cette société qu’elle a mise en scène. Son père était recteur d’un collège : deux de ses frères sont professeurs à l’Ecole supérieure de Stockholm. Son premier mari appartenait à l’administration. Elle a toujours vécu dans ce milieu intellectuel. Elle avait organisé chez elle des réunions littéraires, qu’on appelait, par plaisanterie, les Réunions des Affamés, car, par protestation contre les plantureux soupers de toutes les réunions mondaines de Stockholm, il était convenu qu’on n’aurait chez elle qu’une tasse de thé avec « beaucoup de littérature ». Elle passait souvent les étés chez un parent au presbytère de Fogeläs, sur les bords du lac Vettern. Plus tard, elle a habité avec sa mère le domaine de Hellefors, en Sudermanie, où un autre de ses frères, ingénieur, dirigeait une usine. C’est là qu’elle a appris à connaître la beauté de la campagne suédoise.

Sa vie a d’ailleurs été traversée de dures épreuves. Longtemps elle a dû elle-même, comme la plupart de ses héroïnes, combattre pour la « liberté individuelle ». Enfin, séparée par le divorce de son premier mari, elle avait épousé, il y a quelques années, un gentilhomme italien, le duc de Cajanello, et était allée vivre avec lui à Naples, où elle est morte, à la fin de l’année 1892.

Elle a commencé par écrire sous le nom d’Anne-Charlotte Edgren. Après son divorce, elle a repris son nom de famille de Leffler, pour y ajouter, après son second mariage, celui de duchesse de Cajanello. Son œuvre considérable se trouve donc signée de trois noms différens.

Les types de ses romans et de son théâtre appartiennent tous