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fixait les cérémonies, parurent dangereux à l’orthodoxie protestante. Schleiermacher, lui, eut une meilleure fortune, qui ne connut aucune éclipse. A la source de religiosité dont il faisait déborder les écluses, les divers courans théologiques, presque jusqu’à nos jours, se sont formés et alimentés : courant libéral, courant de l’orthodoxie nouvelle, courant dit du juste milieu.

Pour les « libéraux », il semble que la théologie soit l’ébauche imparfaite et approximative d’une philosophie suprême, et que le monde de la pensée religieuse ressemble à une sorte de caverne de Platon, où les dogmes, analogues à des images, à des ombres, dissimulent et traduisent, tout à la fois, certaines conceptions abstraites : Biedermann, Lipsius, M. Pfleiderer, appartiennent à cette école ; chacun d’ailleurs ayant sa méthode et son symbolisme, et subordonnant la théologie à sa philosophie personnelle. Accusés d’irréligion, ils empruntent des argumens à Schleiermacher pour prouver que la théologie n’est pas la religion.

Mais à son tour l’école confessionnelle, positive, orthodoxe — l’école des croyans, en un mot, de quelque épithète qu’on la veuille décorer, — allègue en sa faveur les théories de Schleiermacher sur l’expérience de la communauté chrétienne : les vieilles croyances traditionnelles ne sont-elles pas consignées par cette expérience ? l’enseignement dogmatique ne représente-t-il pas les alluvions intellectuelles de cette communauté ?

Contre le morcellement en faveur dans les écoles libérales, et qui permet à chaque théologien d’interpréter la religion d’après son symbolisme personnel, on peut objecter les passages de Schleiermacher sur le rôle de la communauté chrétienne dans la création de la foi. Ce qu’il a dit sur l’essence du sentiment religieux semble militer en faveur des « libéraux » ; mais sur la vérité religieuse, expression empirique et concrète de ce sentiment, il a composé certaines pages dont les croyans se peuvent faire une arme. Et ceux-ci feront sagement, d’ailleurs, en n’essayant point, par surcroît, de tirer à leur profit la dogmatique de Schleiermacher ; car sur la divinité du Christ comme sur la Trinité, il rend certains échos que des orthodoxes auraient peine à répercuter.

Quant au parti du « juste milieu » ou de la « conciliation » (Vermittlungspartei, Mittelpartei), il est à deux égards digne de cette appellation. En premier lieu, groupe de sectaires plutôt que de croyans, il fut toujours fort assidu pour opérer une concentration protestante contre le catholicisme ; et comme trait d’union pour cette croisade, une frappante antithèse de Schleiermacher était volontiers mise en relief : « Tandis que le catholicisme fait