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demain. Mais tout est, ici comme en tout et toujours, entre les mains d’une ou deux intelligences qui arriveront à temps, accaparant les labeurs épars des autres, les résumant et les fixant en traits définitifs, pour la plus grande signification de leur temps et pour la plus grande gloire de l’idée, ou — comme on disait jadis et beaucoup mieux, ad majorem Dei gloriam. En tous cas, l’art de demain sera aux simples, ou il ne sera pas. En peinture, comme en musique, comme en tout, je crois, le prochain génie sera très clair, et rejettera toutes les complications où nous nous débattons. Et si, grâce à lui, l’art, en France, fidèle enfin à la tradition et au génie français, revient aux idées claires et aux simples actions, aux actions simplement humaines, l’effort de ces dernières années n’aura pas été inutile, ni vaine la lutte passionnée de quelques nobles artistes, — ou de leurs serviteurs.


V

En résumé, le passé tout entier témoigne de la vérité de cette affirmation : que rien ne s’est fait de durable en art sans l’enveloppe, et pour ainsi dire la protection d’une forme belle ; et si les luttes et jusqu’aux défaillances du présent ne suffisaient à en démontrer l’impérieuse nécessité, c’est que l’art, par son idéale essence, serait destiné à périr un jour de la victoire du réel ou plutôt, se spiritualisant de plus en plus au milieu d’un univers façonné par une science de plus en plus positive, devrait finir et disparaître, faute de pouvoir trouver une forme qui le contienne, et un métier qui le formule. Est-ce une illusion ? mais à regarder l’histoire sous cet angle particulier, de l’époque la plus lointaine jusqu’à nos jours, toute la généalogie des idées apparaît parfaitement claire, de l’art le plus simple au plus compliqué, du plus réel au plus spiritualisé, du plus matériel au plus psychique, j’entends de l’architecture à la musique, comme j’essaierai de le démontrer. Tous variés, tous semblables, ils obéissent à la même loi ; ils s’enchaînent dans l’histoire ; ils se lient et se suivent dans une sorte de progression en esprit, qui n’est sans doute qu’une hiérarchie en idéal. Ainsi le roman de l’art apparaît comme un livre magnifique et si bien conduit qu’on pourrait conclure, tant la déduction en semble logique et inévitable, du commencement à la fin du volume, du passé de l’art à son avenir.

L’avenir de l’art ! quel inconnu en face de cet autre inconnu qui a passionné tant d’audacieux esprits et qui menace d’enflammer le monde, l’avenir de la science ! Si ce dernier aujourd’hui, après un si subit progrès moderne, semble à quelques-uns