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rendit à l’église de Saint-François où elle reçut la bénédiction du Saint-Sacrement, et au couvent de la Visitation où un certain nombre de dames furent admises en même temps qu’elle, et où les religieuses lui offrirent une collation. Le soir il lui fallut encore tenir réception dans la chambre de parade, où, avec beaucoup de bonté, elle entretint les dames qui avaient été admises à lui faire leur cour.

Pendant que se passaient ces réceptions, une grave conférence avait lieu entre les deux Maîtres des cérémonies, le piémontais et le français, le comte de Vernon et Desgranges. Ce dernier s’était détaché de Lyon, où le cortège français attendait toujours des ordres, pour venir à Chambéry conférer avec son collègue et résoudre avec lui certaines questions d’étiquette qui ne laissaient pas de le préoccuper. Il fut naturellement présenté à la princesse, et ce fut lui qui, le premier après Tessé, fit parvenir à Versailles une impression sur elle. « Il semble, Monseigneur, écrivait-il à Torcy[1], qu’on ne puisse vous écrire avoir eu l’honneur de voir la princesse sans vous dire ce qu’on en pense. Je la trouve bien faitte, assez grande pour son âge, la peau belle, et la gorge faitte de manière à devoir l’avoir comme Mademoiselle. Pour le visage, il est assez agréable. Elle a la physionomie spirituelle, et elle paroît toute raisonnable par son maintien et par quelques réponses que je luy ai entendu faire à gens qui venoient la complimenter. »

Mais que la princesse Adélaïde fût faite d’une façon ou d’une autre, Desgranges n’y pouvait rien, tandis qu’il avait à trancher avec le comte de Vernon une question d’étiquette fort grave. Jusqu’où l’escorte piémontaise conduirait-elle la princesse Adélaïde, et en quel endroit l’escorte française viendrait-elle la chercher ? Le comte de Vernon voulait que la princesse vînt coucher le 15 au soir au Pont de Beauvoisin[2], mais qu’elle y demeurât sur terre savoyarde, et que le lendemain l’escorte française vînt la prendre dans la maison où elle aurait couché. Il alléguait qu’en 1684 Victor-Amédée lui-même, venant au-devant de sa femme, la duchesse Anne de Savoie, que lui amenait la comtesse d’Armagnac, avait été la chercher sur terre française. Mais Desgranges répondait que le cas n’était pas le même : qu’au moment où Victor-Amédée venait à la rencontre de la duchesse de Savoie, le mariage avait déjà été célébré par

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin vol. 95. Desgranges à Torcy, 14 octobre 1696.
  2. Le Pont-de-Beauvoisin était un petit village situé sur le Guiers, qui marquait alors la limite entre la France et la Savoie. Un pont étroit, en dos d’âne, franchissait la petite rivière, et la limite entre la France et la Savoie était exactement au milieu du pont.