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après les trois ou quatre mois de séjour qu’on vous propose. L’habitude avec les femmes qu’on luy donnera, aussitost qu’elle sera arrivée, se formera bien plus aisément lorsqu’elle n’en aura point d’autres à qui elle soit plus accoutumée. A l’égard du médecin, lorsqu’il aura instruit de son tempérament tous ceux qui sont à mon service, son séjour seroit fort inutile.[1]. » Force était donc à Tessé, en présence des instructions précises qu’il recevait, d’entreprendre à nouveau le duc de Savoie sur ce sujet. Mais il se heurtait à la même résistance, et il pouvait, avec vérité, en commençant sa dépêche, dire à Louis XIV « que le gouvernement domestique des familles reçoit des difficultés souvent plus pénibles que celuy d’un estat tout entier[2] ». Pour faire plus d’impression sur le duc de Savoie, il lui montrait le texte même de la dépêche où Louis XIV faisait appel à ses sentimens personnels pour obtenir de lui satisfaction sur ce point. Mais c’était sans succès. « Ce prince, qui fait l’homme au-dessus de l’humanité, écrivait Tessé, s’est attendry ; les larmes luy sont venues aux yeux, et j’ose dire à Vostre Majesté qu’elles ont attiré la même chose en moy, quand, avec un grand soupir, ce prince m’a repetté : Je ne verray donc plus ma fille, et elle n’aura, en arrivant, personne avec elle assez familière pour lui donner un pot de chambre et la nettoyer. »

Tessé répliquait en faisant valoir de son mieux les raisons d’État invoquées par Louis XIV, mais il n’est pas étonnant qu’il ne se montrât pas très persuasif quand, au fond du cœur, il était avec le duc de Savoie contre son maître. « Je supplie encore Vostre Majesté, écrivait-il, de permettre que quelques femmes de chambre, au nombre de deux, arrivent avec un médecin qui, seul, connaist son tempérament, et nous sommes convenus que tout cella reviendra cinq ou six mois après, ou tout au plus tard dans le temps du mariage. Je puis assurer Vostre Majesté que cette bagatelle m’a donné plus d’inquiétudes et de tourmens que d’autres affaires plus épineuses. Et, au surplus, il me paroît en vérité que M. de Savoye n’a, dans tout cella, d’autre vue que celle d’une tendresse mal placée pour sa fille, laquelle est une enfant, et que ce prince ne peut surmonter l’appréhension puérille dans laquelle il est que son enfance a besoin de quelque femme familière pour ne se point contraindre, d’abord dans les faiblesses, malproprettés ou incommodités, car, au surplus, il pense et parle tout comme Vostre Majesté, et comprend que tout ce que vous voulés sur cella est la raison mesme ; mais il croit sa fille, en arrivant à votre

  1. Papiers Tessé. Le Roi à Tessé, 20 août 1696.
  2. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 27 septembre 1696.