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Voltaire parlait avec tant de mépris, mais que nous lisons aujourd’hui avec plus de curiosité que le Siècle de Louis XIV.

Quant à la charge d’écuyer, elle était bien due à Tessé pour la part qu’il avait prise au mariage. Il crut cependant faire prudemment de la demander. Sa lettre est un chef-d’œuvre de sollicitation, et mériterait d’être citée tout entière, dans un recueil épistolaire, comme un modèle du genre. « Sire, écrivait-il au Roi, Vostre Majesté m’a permis et commandé de lui rendre conte de ses affaires, mais je croy qu’il est de mon proffond respect de ne pas confondre dans cette permission la liberté de vous entretenir des miennes. Cependant, Sire, pour cette fois seulement, je supplie Vostre Majesté de me permettre de l’entretenir de ce qui suit, et de l’oublier s’il estoit possible qu’Elle creut que l’effet de cette respectueuse et soumise proposition pust m’éloigner tant soit peu de l’attachement effectif et, si je l’ose dire, tendre que j’ai pour vostre personne sacrée. Vostre Majesté, Sire, ne peut pas vraisemblablement tarder à former une maison à Mme la Duchesse de Bourgogne, et si, en la formant, Elle la regardoit comme la sienne et cherchoit à y mettre des personnes distinguées par leur dévouement pour Vostre Majesté, et que ce ne fût point une exclusion pour estre encore plus particulièrement à vous, je ne sais, Sire, si Vostre Majesté me croiroit digne de remplir celle que feu M. le maréchal de Bellefond avoit auprès de Madame la Dauphine. Voilà, Sire, l’idée toute unie que je crois pouvoir donner à Vostre Majesté de cette grâce que je ne lui demande qu’en proportion qu’Elle croira qu’elle peut convenir à son service. »

[1].

Cette adroite missive, où Tessé donnait son tendre attachement à la personne sacrée du Roi comme prétexte à son ambitieux désir, et se déclarait en même temps prêt à en faire, le sacrifice, n’était même pas nécessaire pour lui faire obtenir la charge qu’il désirait. Barbezieux lui mandait[2] en effet qu’avant même qu’il n’eût rendu sa lettre, il avait été chargé de lui écrire que le Roi avait disposé en sa faveur de la charge de premier écuyer de Mme la duchesse de Bourgogne. « Mais je dois vous dire, ajoutait-il, que le Roy a accompagné la grâce qu’il vous a faite de tant de termes gracieux que je n’ay pas cru devoir vous le taire puisque je suis tout à vous. » Cependant une seconde lettre de Barbezieux[3] coupait court à une espérance qu’avait conçue immédiatement Tessé. « Sur ce que le Roy m’a dit, que vous lui

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 96. Tessé au Roi, 25 août 1696.
  2. Papiers Tessé. Barbezieux à Tessé, 6 septembre 1696.
  3. Ibid. Barbezieux à Tessé, 7 septembre 1696.