Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

écrivait également, pour la complimenter, une lettre qui, malheureusement n’a pas été non plus conservée à Turin. Louis XIV ne voulait pas davantage la laisser en dehors de l’affaire, et, comme nous le verrons tout à l’heure, il donnait clairement à entendre qu’elle aurait la haute main sur l’éducation de la princesse. Il n’y a donc nul doute qu’elle ne soit discrètement, mais activement intervenue dans le choix des personnes qui devaient l’entourer. Quant à répondre que les choses se soient passées exactement comme le raconte Saint-Simon, c’est une autre affaire. Mais son récit est assez piquant pour qu’il vaille la peine de le rapporter.

Grandes étaient donc les compétitions (et sur ce point on peut en croire notre auteur) autour de cette charge de dame d’honneur. Plusieurs personnes y pouvaient prétendre, et leurs noms étaient ouvertement prononcés. Si les unes, comme les duchesses de Chevreuse et de Beauvilliers, se tenaient fièrement à l’écart, sachant qu’elles n’étaient point assez bien vues pour être désignées, les autres, comme la maréchale de Rochefort, la duchesse d’Arpajon, la duchesse de Créquy, la duchesse de Ventadour, faisaient valoir leurs titres. La maréchale de Rochefort, l’ancienne amie de Louvois, était dame d’atour de la duchesse de Chartres, et n’avait accepté cette charge que sous promesse d’une plus considérable. La duchesse d’Arpajon avait été dame d’honneur de la Dauphine, la duchesse de Créquy dame d’honneur de la Reine. Quant à la duchesse de Ventadour, elle était fille du maréchal de La Mothe Houdancourt et femme d’un duc et pair qui appartenait à la maison de Levis. Mais de celle-ci Mme de Maintenon ne voulait point : « Les dames, écrivait-elle à Mgr de Noailles[1], se donnent assez de mouvement pour que vous puissiez faire parler Mme la duchesse de Noailles, sur Mme de Créquy, la duchesse du Lude ou la duchesse de Ventadour. La dernière est séparée d’avec son mari ; sa réputation n’est pas sans tache, elle traîne une mauvaise suite dans sa famille, elle est toute liée à Saint-CIoud, dont on voudroit éloigner la jeune princesse. » Mais les autres, suivant les expressions de Mme de Maintenon, se donnaient du mouvement et faisaient parler. « Les choses en étaient là quand le samedi matin 1er septembre (nous citons Saint-Simon)[2] le Roi, qui gardoit le lit pour son antraxe, causoit, entre midi et une heure avec Monsieur, qui étoit seul avec lui. Monsieur, toujours curieux, tâchoit de faire parler le Roi sur le choix d’une dame d’honneur que tout le monde voyoit qui ne pouvoit plus être différée ; et comme ils en partaient, Monsieur vit à travers la chambre,

  1. Correspondance générale de Mme de Maintenon, t. IV, lettre CDXXI, p. 105.
  2. T. III, p. 165. Edition Boislisle.