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observée par tout le monde, était de nature à déplacer la majorité dans la Chambre. Mais comment croire que tous les libéraux accepteraient une coalition aussi immorale et que, depuis le premier jusqu’au dernier, ils en subiraient les obligations ? Il devait inévitablement y avoir des résistances, des défections particulières, et dès lors le parti libéral s’exposait à perdre sans profit son honneur politique. Si, au contraire, on suppose réalisé le succès d’une pareille coalition, quel en aurait été le lendemain ? quel gouvernement les libéraux, qui seraient d’ailleurs restés en minorité dans la majorité, auraient-ils pu constituer avec les socialistes ? Ils auraient été condamnés à être les complices des pires ennemis de l’ordre social : c’est une attitude qui, en Belgique comme en France, peut convenir aux radicaux, mais non pas aux libéraux. Un parti vaincu ne mérite de se relever un jour que s’il reste fidèle à lui-même, s’il respecte ses traditions, s’il conserve sa raison d’être. Les libéraux belges l’ont compris. Les uns se sont abstenus, les autres ont même voté pour les catholiques. Après avoir montré la force électorale qui leur permettait, après le premier tour de scrutin, de faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre, ils ont eu assez de courage sur eux-mêmes pour ne pas en abuser. Grâce à eux, les catholiques sont restés maîtres du terrain, mais ils ont pu reconnaître combien, sur plus d’un point, leur situation était ébranlée. S’ils sont sages à leur tour, soucieux de l’avenir, désireux de former un parti solide, largement ouvert à toutes les bonnes volontés, et propre à combattre les progrès menaçans du socialisme allié au radicalisme, ils comprendront qu’ils doivent quelque chose aux libéraux. Ils leur doivent d’abord la justice dans la loi électorale. L’épreuve qui vient d’avoir lieu est de celles qu’il serait dangereux de renouveler trop souvent. Les libéraux viennent d’assurer, sans faire de conditions, le succès des catholiques ; mais il est probable qu’ils en feront une autre fois.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.