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reprises, de 1645 à 1651, signalé sur les registres de l’église catholique en qualité de parrain. C’est durant cette période qu’on suppose qu’il fut envoyé à Madrid, en mission diplomatique, par les magistrats d’Amsterdam. Mais il n’en rapporta point, semble-t-il, de bien grands profits, car en 1650 il dut ouvrir, sur le Nes, une boutique de libraire, qu’il fut d’ailleurs obligé de fermer dès l’année suivante, sur les instances de ses créanciers.

C’est alors que l’idée lui vint d’utiliser sa science, qu’il n’avait jamais cessé d’entretenir et d’accroître depuis sa jeunesse. Des humanités classiques jusqu’au droit et à la médecine, il n’y avait pas une branche du savoir où il n’excellât. Ses contemporains sont d’accord pour reconnaître que personne en Hollande ne connaissait et ne comprenait aussi bien les doctrines nouvelles, celles de Bacon, de Hobbes et de Descartes en particulier ; mais les doctrines anciennes ne lui étaient pas moins familières, à en juger par ses traductions de Platon et des Alexandrins. Il était poète aussi, poète latin, et nous a laissé une comédie imitée de Térence, Philhédonius ou l’Ami du Plaisir. Mais tous ces talens ne l’empêchaient point de mourir de faim, avec sa femme et ses cinq enfans, lorsqu’il entreprit, en 1652, d’ouvrir à Amsterdam une école de latin, où les enfans de la bourgeoisie hollandaise seraient instruits des langues d’Athènes et de Rome. L’entreprise devint bientôt excellente. Les meilleures familles de la ville n’hésitèrent pas à confier leurs enfans à ce catholique ; il lui vint même des élèves d’Allemagne, d’Angleterre, et de France.

Lorsque Spinoza le rencontra dans une réunion des mennonites, son école se trouvait en pleine prospérité. Frappé de l’intelligence du juif, van den Enden lui offrit aussitôt de compléter son éducation : et jusqu’à son départ pour Rhynsbourg, en 1661, Spinoza resta près de lui, occupé sans doute dans l’école en qualité de sous-maître. Ce qu’il venait d’apprendre lui-même, il l’enseignait aux enfans, avec sa douceur et sa patience habituelles ; ou du moins il leur en transmettait la surface, gardant soigneusement le fond pour soi seul. Et quand les dénonciations de son ancien maître Morteira, en 1661, lui firent interdire le séjour d’Amsterdam, non seulement le hollandais et le latin lui étaient devenus familiers, mais il avait déjà écrit son traité de l’Amélioration de l’Esprit, et projeté son Exposé géométrique de la philosophie cartésienne.

Son maître van den Enden, cependant, restait à Amsterdam. Il avait trouvé une collaboratrice incomparable dans la personne de sa fille aînée, Clara-Maria, dont la laideur était encore dépassée par l’étendue et la variété de ses connaissances. Latiniste accomplie, elle était devenue à seize ans le meilleur professeur de toute l’école. Spinoza eut-il vraiment, comme l’affirme Colerus, l’intention de