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que fit, en 1698, la traduction hollandaise de l’article consacré à Spinoza par Pierre Bayle dans son Dictionnaire historique et critique. S’appuyant sur la courte préface écrite en 1677, par un ami anonyme de Spinoza, pour l’édition des Œuvres posthumes, mais ne se faisant pas faute d’y joindre toute sorte d’additions et d’appréciations de son cru, Bayle, en effet, avait présenté sous un jour assez fantaisiste le philosophe juif et sa philosophie, ce qui, d’ailleurs, avait encore contribué à attirer sur eux la curiosité du public. Et c’est tout ensemble pour satisfaire à cette curiosité et pour réfuter les erreurs de Bayle que l’excellent Kœhler entreprit de recueillir, et de consigner par écrit, tous les détails que lui avait fournis Van der Spyke sur la vie de Spinoza. Il les publia en 1705, en même temps qu’un sermon prononcé par lui à Pâques, l’année précédente, sur la véritable résurrection de Jésus-Christ, défendue contre les argumens de B. de Spinoza et de ses partisans.

Le sermon ne tarda pas à être oublié : mais il n’en fut pas de même de la Vie de Spinoza, qui, traduite en français dès 1706, ne cessa plus depuis lors d’être lue et méditée. Elle sert de préface, aujourd’hui encore, à toutes les éditions des œuvres de Spinoza : et l’on peut dire que c’est d’elle seule que nous vient, depuis deux cents ans, tout ce que nous savons de l’histoire et de la personne de l’auteur de l’Ethique. Les plus savans historiens et commentateurs du spinozisme, les Allemands Auerbach et Ginsberg, le Français Emile Saisset, l’Anglais Frédéric Pollock, le Hollandais Johann van Vloten, se sont bornés à développer, sans presque prendre la peine de le contrôler, le récit de ce pasteur allemand, qui n’a jamais vu Spinoza, et n’a guère eu avec lui d’autre point de contact que d’avoir logé dans la même maison.

On ne saurait nier, après cela, que Kœhler (ou Colerus, pour l’appeler de son pseudonyme latin) se soit très consciencieusement efforcé de donner à son récit toute l’exactitude et toute l’impartialité désirables. Mais il n’avait d’autre source sérieuse d’information que les souvenirs du vieux Van der Spyke, et tout moyen de vérification parait lui avoir manqué. Avec la meilleure volonté, il nous a transmis sur Spinoza un monceau d’erreurs. Ce qu’il nous dit de la jeunesse du philosophe, notamment, — ou plutôt de toute sa vie, à l’exception des six années passées chez les Van der Spyke, — est d’un bout à l’autre sujet à caution. Il se trompe, par exemple, quand il nous affirme que Spinoza avait étudié le latin dans sa jeunesse, car nous savons de source certaine qu’il ne l’a étudié qu’après sa rupture avec la synagogue. Il se trompe en nous affirmant que Spinoza, durant son séjour chez François Van den Enden, était devenu amoureux de la fille de celui-ci, car Clara-Maria Van den Enden venait à peine de sortir de l’enfance quand son prétendu amoureux quitta Amsterdam. Il se trompe sur les