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salaires des médecins par la loi, l’interdiction de toute poursuite pour dettes au-dessous de 500 francs, la journée de huit heures obligatoire pour les adultes, de plus grandes facilités pour le divorce, voilà ce que promettent divers ministres.

La plupart des lois aventureuses que nous avons passées en revue ne datent que d’un très petit nombre d’années ; les idées socialistes qui couvaient depuis longtemps en Australie et s’y faisaient jour peu à peu ont vu leur puissance fort augmentée à la suite de la grave crise financière de 1892-1893, due aux excès de spéculation qui l’avaient précédée. Quelques expériences, comme celles de culture communiste, sont cependant déjà jugées. L’ensemble de cette législation ne peut encore l’être complètement, mais son hostilité contre le capital est certes l’une des causes qui contribuent le plus à maintenir l’Australie dans un état de dépression économique.


V

La hardiesse des colons australiens en matière sociale, leur dédain pour les traditions, — les préjugés, diraient-ils plutôt, — de la vieille Europe, les a encore entraînés dans un autre champ d’innovations : ils ont accueilli le féminisme avec autant d’ardeur que le socialisme. La Nouvelle-Zélande en 1893, l’Australie du Sud en 1895 ont accordé aux femmes les droits électoraux politiques, et il s’écoulera sans doute peu d’années avant que les autres colonies n’aient fait de même. Avec quelques États de l’Union américaine, le Colorado, le Wyoming, l’Utah, les deux colonies que nous venons de citer sont les seuls pays où les femmes aient le droit de vote à toutes les élections.

Cette émancipation politique surprend plus en Australasie qu’en Amérique : dans le Nouveau Monde, on est si habitué à voir la femme absolument libre, elle concourt avec l’homme pour l’exercice de tant de professions, que, si opposé qu’on puisse être en principe au suffrage des femmes, on n’est point choqué, d’abord, de les voir l’exercer. En Australasie, la situation de la femme se rapproche beaucoup plus de ce qu’elle est en Angleterre que de celle où elle se trouve en Amérique : plus libre que sur le continent européen, elle l’est moins absolument qu’aux États-Unis. La loi ici a quelque peu devancé les mœurs, comme c’est souvent le cas aux antipodes et dans tous les pays où des politiciens de profession occupent la scène, cherchent à étonner les spectateurs, et surtout à satisfaire les plus bruyans d’entre eux.