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ses partisans, a obtenu des diverses coteries sans principes bien fermes qui se succèdent au pouvoir, le vote de nombreuses mesures législatives conformes à son programme. N’ayant en face de lui aucune opposition fortement organisée, il tient dans une dépendance plus ou moins complète les gouvernemens des principales colonies, Victoria, Nouvelle-Galles, Australie du Sud et Nouvelle-Zélande surtout.

Ces méthodes opportunistes ont valu au parti ouvrier australien les reproches des révolutionnaires européens. Ils l’ont accusé de s’être laissé domestiquer et leurrer. Un écrivain de la Revue socialiste[1] disait même récemment qu’il n’avait jamais pu se résoudre à répondre affirmativement à cette question : « Y a-t-il un mouvement socialiste en Australie ? » et il ajoutait ensuite : « En grande pompe et en cérémonie, les représentans du capitalisme concèdent de temps à autre à la classe ouvrière quelque petite loi, quelque vague promesse, quelque privilège innocent, quelque aumône chétive… Dans la pratique des discussions parlementaires où ils (les députés ouvriers) se mêlent chaque jour, l’épée luisante de l’idéal est prudemment gardée au fourreau et l’on ne se sort que du fleuret moucheté de l’opportunisme… Un des représentans du parti ouvrier se lève, pour démontrer qu’au lieu de dépenser l’argent pour le profit de tel et tel, il faudrait l’employer dans l’intérêt des ouvriers mal à l’aise de tel ou tel métier. Le gouvernement a immédiatement en réserve quelque petit chemin de fer projeté qui, en réalité, n’aura d’autre utilité que de gaspiller de l’argent et de sauver le gouvernement, mais qui pour le moment va ouvrir toute une province à défricher et donner du travail à des milliers d’hommes… C’est ainsi que les gouvernemens successifs des colonies ont dépensé inutilement des millions qui n’ont profité à personne, leur devise étant toujours : Après nous le déluge ! » On ne saurait mieux exposer la tactique du parti ouvrier, ni critiquer plus justement le gaspillage et l’énorme accroissement des dettes publiques auxquels a donné lieu l’abus des prétendus reproductive works, travaux reproductifs, — ce mot est l’équivalent, dans le jargon électoral australien, de cette autre expression si souvent entendue chez nous depuis vingt ans : augmenter l’outillage de la France — qui n’ont rien produit, mais ont rendu chronique la plaie des sans-travail. C’est, toutefois, être bien intransigeant que de traiter d’aumônes chétives les importantes lois dont les socialistes n’ont que trop facilement obtenu le vote, en suivant une méthode

  1. Le Paradis des ouvriers, par M. Siebenhaar (Revue socialiste, janvier 1896).