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de la liberté tendant à son but, l’ordre parfait, et se maintenant parfait sortira tout seul ; que l’harmonien se soumettra à la réglementation la plus minutieuse que jamais cervelle de bureaucrate ait inventée, de lui-même et par sa nature ; ou plutôt qu’il ne s’y soumettra point, un tel mot n’ayant plus de sens, qu’il la créera de lui-même, d’instinct, de par son instinct harmonique, à tous les instans de sa vie ; et en cet état il est très vrai que la liberté créera de l’ordre et que l’ordre augmentera la somme de liberté de chacun, et que cette nouvelle liberté créera un ordre encore plus parfait, et indéfiniment, et que ce sera admirable.

Admirable en effet, et ce l’est déjà dans les livres de Fourier. Encore une raison de la séduction qu’il a exercée sur un certain nombre d’esprits. Ce commis aux écritures est un poète, un poète un peu puéril, mais un poète. Cet homme qui fait des tableaux à l’encre rouge, fait aussi des tableaux de peintre, qui ne sont pas sans agrément. Il est joli, le monde qu’il trace : les enfans, par brigades et par escouades, enrégimentés selon leur âge, cueillent des fleurs, font des bouquets, écossent des pois, ourlent des mouchoirs ; les femmes, en longues théories se répandent dans les vergers, cueillant des cerises, tressant des guirlandes ; les hommes travaillent dans d’admirables ateliers avec la joie que donne le travail facile, modéré, et varié. Et puis tout le monde est décoré : il n’est personne qui n’ait son signe distinctif, ruban, galon, pompon, panache, à commencer par les « chérubins » de trois ans, les « bambins » de quatre, et les « lutins » de six. — Et voici venir les bandes de voyageurs, « chevaliers errans » de l’exploration, la « bande rose » qui, venant de Perse « déploie caractère dramatique et lyrique », la bande lilas, qui, venant du Japon, « déploie caractère poétique et littéraire ». Tout ce monde est gai, gracieux et voyant. Le culte de la sensualité et des verroteries y domine. Il a pour code le Supplément au voyage de Bougainville ; et en effet la persistance de la civilisation actuelle ne serait-elle pas une « inadvertance impardonnable, depuis la découverte d’Otahiti, dont les mœurs étaient un avertissement de la nature et devaient suggérer l’idée d’un ordre social qui pût réunir la grande industrie avec la liberté amoureuse ? »

Cette réunion précieuse sera réalisée en Harmonie. « En combinant avec les plaisirs sensuels l’absence de soins matériels dont les pères et mères seront délivrés ; le contentement des pères dégagés des frais de ménage, éducation et dotation ; le contentement des femmes, délivrées de l’ennuyeux ménage sans argent ; le contentement des enfans abandonnés à l’attraction, excités aux raffinemens de plaisir même en gourmandise ; enfin le