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leurs efforts, en un mot les servir intelligemment, non les combattre, et encore moins, ce qui est insensé, prétendre les vaincre. Gloire aux passions, et surtout liberté aux passions !

Ne nous dites pas, M. Auguste Comte, dans votre style aussi fâcheux que vos doctrines : « Nous avons même vu le principe le plus général et le plus vulgaire de la simple morale individuelle, la subordination nécessaire des passions à la raison, directement dénié par d’autres réformateurs, qui, sans s’arrêter à l’expérience universelle rationnellement sanctionnée par l’étude positive de la nature humaine ont tenté au contraire d’établir comme dogme fondamental de leur morale régénérée, la systématique domination des passions dont l’activité spontanée ne leur a pas paru sans doute assez encouragée par la simple démolition des barrières jusque-là destinées à en contenir l’impétueux essor : puisqu’ils ont cru devoir en outre la développer artificiellement par l’application continue des stimulans les plus énergiques. » Un tel langage, outre qu’il est pénible, est réactionnaire. Il marque une défiance de moraliste chrétien à l’égard de la nature humaine, laquelle est bonne. Il contredit scandaleusement l’optimisme généreux qui est le fond de l’esprit philosophique du XVIIIe siècle et de l’esprit de la Révolution française. Ou nous sommes pénétrés de cet esprit et alors ayons confiance aux forces constitutives de notre nature, ou retournons à la morale traditionnelle tout entière fondée sur ce principe que l’homme est, mauvais et doit se combattre. Revenons au jansénisme. Est-ce la peine d’avoir secoué ce joug pour le reprendre de la main de ceux qui prétendent, si fièrement du reste, rompre avec le passé ?

Remarquez encore qu’un tel langage est révoltant pour un homme qui, comme Fourier, croit en Dieu. Pourquoi Dieu aurait-il créé les passions si les suivre devait être funeste à l’humanité ? Pourquoi aurait-il tendu ces pièges à sa créature ? Pourquoi surtout leur aurait-il donné beaucoup plus de force, incomparablement, qu’à cette raison qui doit les contraindre ? Pourquoi aurait-il fait des êtres qui vivent heureusement, ou à peu près, en suivant leurs seuls instincts, et un être qui ne pourrait vivre heureux qu’à la condition de vaincre perpétuellement tous les siens ? Si Dieu existe, s’il est bon, s’il est juste, s’il ne nous trompe pas, quatre propositions dont Fourier ne doute point, il nous a donné des passions fortes pour les suivre, une raison faible, pour qu’elle n’agisse que faiblement et en auxiliaire ; il a mis dans la satisfaction de nos passions le but à poursuivre, l’objet de nos efforts et le secret de notre bonheur.

Fourier tient extrêmement à cet argument qui n’est pas