Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 136.djvu/562

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immobile pour laisser tomber la poussière ? L’intérieur immaculé de Louisa eût été digne de servir de prétexte à ces manies géniales. Mais de même que les peintres hollandais, sans varier beaucoup leurs sujets, ne nous conduisent pas toujours dans la parfaitement bonne compagnie, miss Wilkins ne se borne pas à peindre des anges un peu froids qui dissimulent leurs ailes, des religieuses par instinct dont la vraie place serait au couvent, si le hasard les avait fait naître en pays catholique.

Son premier récit, A humble romance, qui n’est pas son œuvre la moins remarquable, nous met dès les premières lignes en présence de l’évier chargé de vaisselle où une pauvre petite servante au des rond, aux coudes pointus, au visage tiré par la fatigue, aux cheveux fades et rares, entame son roman bizarre et touchant avec un colporteur ; le pathétique mensonge de Sister Liddy est commis dans un asile de mendicité ; Christmas Jenny, la pourvoyeuse de verdure de Noël, vit en forêt d’une façon aussi indépendante, aussi sauvage que les fauves et les oiseaux ses amis ; Minty, ce modèle d’amour conjugal qui dans Un couple errant, finit par s’atteler comme une bête de somme à la charrette qui traîne sur les routes son mari malade, est une belle ouvrière de fabrique sur le compte de laquelle on a beaucoup jasé (mais c’était avant son mariage) ; — La libre penseuse, Esther Gay, ne se fait pas faute de tricoter le dimanche, — personne de ceux qu’elle choque ainsi ne se doute que c’est pour les pauvres ; — et l’héroïne de An Object of love ne serait de sa vie retournée à l’Eglise si elle n’avait retrouvé son chat longtemps perdu.

Il y beaucoup d’autres personnages incorrects ou révoltés dans l’œuvre de Mary Wilkins, mais son réalisme n’aboutit jamais à rien de malsain ni de moralement grossier ; elle est, selon le vœu de George Eliot, de ceux qui se dévouent avec sympathie à la fidèle représentation des choses ordinaires, qui savent y trouver de la beauté, qui sont heureux de montrer avec quelle tendresse la lumière du ciel tombe sur elles. « Qu’il y en ait toujours parmi nous ! » s’écrie l’auteur d’Adam Bede. Il y en a plusieurs en Amérique et nous les avons déjà nommés.

Mrs Beecher Stowe, la première, entreprit de peindre les caractères et la vie rustique sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre. Nous la connaissions, cette Nouvelle-Angleterre, comme le foyer de la vie intellectuelle en Amérique, comme le berceau des Franklin et des Daniel Webster, des Channing, des Charles Sumner, des Théodore Parker, des Longfellow, des Whittier, des Bancroft, des Prescott, de tant de grands esprits ; elle se manifestait pour nous à travers les romans si distingués de