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barreaux d’avocats, les chambres de notaires, d’avoués, les conseils de prud’hommes, etc., on ne pense pas qu’il y ait de doute. Mais certaines sociétés ou associations, comme les sociétés de secours mutuels, les coopératives, les syndicats, leur donnera-t-on ou leur refusera-t-on le droit de vote ?

Pour les syndicats, par exemple, c’est, on l’avoue, une grosse question. S’il n’y avait que des syndicats mixtes de patrons et d’ouvriers, et des syndicats agricoles où se coudoient tous ceux, de quelque condition qu’ils soient, propriétaires, fermiers, métayers ou travailleurs, qui tiennent à l’agriculture ; s’il n’y avait que de ces syndical s’de rapprochement d’intérêts entre des hommes de toutes les conditions dans toutes les professions, on n’aurait pas à hésiter, et il faudrait placer les syndicats au rang des unions locales organiques admises, comme telles, à l’exercice du droit de vote.

Mais il y a, d’autre part, les syndicats patronaux et, en face d’eux, contre eux, les syndicats ouvriers, qui, les uns et les autres, peuvent être regardés plutôt comme des syndicats de division d’intérêts et, si j’ose risquer le mot, comme des « désunions » locales et professionnelles : ceux-là ne recherchent plus le bien commun de la profession, mais ce qu’ils croient leur bien personnel, et trop souvent, dans le mal d’autrui. Accorder à ceux-là le droit de vote, c’est peut-être introduire dans la représentation l’esprit de classe, et, du coup, ce serait vraiment créer un gouvernement de classe, couper la nation en deux : capital à droite et travail à gauche ; patrons d’un côté de la ligne, ouvriers de l’autre côté, l’arme au poing, attendant le combat.

Sans doute il semble que, considérés sur toute la surface du pays, « le capital et le salaire se partagent à part égale le travail national et qu’il y a équilibre, en France, entre les facteurs de la richesse ». Sans doute, ne parlant que des syndicats, — indépendamment du nombre de leurs membres qui n’aurait rien à faire ici, puisque l’unité, pour le Sénat, est le groupe et non l’individu, — sans doute il ne s’en manque pas de tant que les 1 622 syndicats patronaux fassent équilibre aux 2 163 syndicats ouvriers, ou, du moins, les syndicats ouvriers ne l’emportent pas tellement sur les syndicats patronaux, qu’ils les écrasent sous leur masse. Mais ce n’est pas assez, que les deux parts doivent être à peu près égales, pour que du corps vivant d’une nation on aille faire deux moitiés mortes.

Et, tout de même, comment ignorer, comment négliger, quand on donne le suffrage aux « unions locales » plus de 5 000 associations qui comptent ensemble près d’un million de syndiqués ? Comment, à la fois, les exclure de la représentation nationale et