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la réhabilitation de l’argent. Mais il ne peut imposer ses vues à ses collègues du gouvernement, et il ne peut faire, par ailleurs, que les bimétallistes ne soient encore en minorité en Angleterre. On recourrait donc à d’autres mesures, mais les délégués devaient comprendre qu’il n’était point au pouvoir de l’Etat, en tout cas, de rendre la prospérité à une industrie affectée par un ensemble si complexe de causes économiques. L’un des délégués avait déclaré qu’à moins d’une hausse notable du prix des céréales, l’agriculture était perdue sans retour. L’Etat ne pouvait donner le secours réclamé, et M. Balfour était obligé de reconnaître que le problème était insoluble. Il est à peine besoin de dire quelle impression pénible devait produire une réponse si décourageante. Il serait cependant injuste de déclarer que les pouvoirs publics n’ont rien fait pour les classes agricoles : le parlement a voté un projet de loi relatif à la construction de trains légers dans certains districts ruraux ; et, ce qui est plus sérieux, discute en ce moment un projet de dégrèvement de taxes proposé par le cabinet en acquittement de la promesse qu’avait faite lord Salisbury[1].

Pourrait-on douter de la réalité de la détresse agricole chez nos voisins ? C’est en septembre 1894 que le prix du blé anglais tomba au-dessous d’une livre sterling par quarter (de 290 litres), soit au-dessous de 9 francs l’hectolitre ou de 12 francs le quintal métrique. La position n’est plus tout à fait aussi mauvaise, mais il ne s’en faut guère[2]. Aussi la superficie des terres cultivées en froment a-t-elle, d’une année à l’autre, diminué d’un demi-million d’acres, soit de plus d’un quart de la totalité qui subsistait en 1894[3]. Si la diminution devait continuer de ce pas, avant

  1. Le gouvernement n’a pas cru devoir tenir compte du désir exprimé par la commission royale d’enquête relativement à l’organisation d’un système de prêts publics aux agriculteurs, mais il a proposé au parlement de consacrer à une réduction des taxes locales sur la propriété rurale, jusqu’à concurrence de 975 000 liv. st. dans le second semestre de 1896 et de 1 950 000 liv. st. pendant chacune des quatre années suivantes, une partie de l’énorme excédent budgétaire impérial de 1895. Ce dégrèvement est l’objet d’un bill, présenté par M. Chaplin, président du bureau du gouvernement local, au nom du cabinet unioniste, et qui a été adopté en seconde lecture le 22 mai, après une séance de plus de vingt heures. Ce projet de loi, intitulé Agricultural Land Rating bill, serait mieux dénommé, d’après l’Economist de Londres du 25 avril, qui lui reproche de n’avoir aucune justification et de ne reposer sur aucun principe, un « bill pour subventionner les propriétaires fonciers aux dépens de la majorité des contribuables ».
  2. Le prix s’est relevé au milieu de 1895 à 27 schillings, soit une hausse de 30 pour 100 sur le niveau le plus bas ; il a été ramené depuis à 25 schillings.
  3. Sur 20 millions d’acres de terre labourable, 9 millions environ ont été consacrés aux céréales en 1895, et sur ces 9 millions, 1 456 000 seulement au froment (contre 1 980 000 en 1894). En même temps le rendement par acre a diminué, 26 bushels au lieu de 30 l’année précédente. Le prix du blé était de 45 schillings en 1881, et la superficie cultivée en froment il y a dix années, exactement le double de ce qu’elle est aujourd’hui. L’Angleterre a produit 77 millions de bushels de froment en 1885, et 37 millions seulement en 1895.