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disparaît avec un riche habitué du café. Falk est anéanti, ce dernier coup l’a brisé. Il a touché tous les bas-fonds, il a connu toutes les misères : désormais il est mûr pour toutes les bassesses de la vie. La fin de son histoire nous le montre revenu de ses idées humanitaires et réconcilié avec la société. Il a renié tous ses principes, abjuré la foi de sa jeunesse. Renégat du libéralisme et de la réforme sociale, il sert de nouveau le pouvoir dans la perception de l’impôt, méprisant tout le monde, et se méprisant lui-même par-dessus le marché.

En contraste avec cette figure de rêveur découragé du rêve. M. Strindberg a représenté le frère aîné d’Arvid, Niklas Falk et sa femme. Lui, c’est l’homme d’affaires égoïste et avisé, servant les dieux du jour, avide de jouissance et de considération mondaine, sans morale et sans scrupules, à qui tout réussit. lia commencé par frustrer son frère d’une bonne partie de l’héritage paternel, tout en se donnant les apparences de lui venir en aide par des avances d’hoirie. Il prête son argent, par l’entremise de Lévi, à des taux usuraires, et tous les officiers de la garde sont ses débiteurs. Quittant enfin sa boutique de la rue de la Reine, le voici banquier. Il fonde des compagnies d’assurances et des asiles pour les pauvres. Il trône à la Bourse, reçoit des ministres à sa table, est décoré de la croix de Vasa et vise à la députation.

Sa femme l’aide dignement en tout cela. Désunis en ménage, se détestant cordialement, vivant chacun de son côté, ils s’entendent à merveille pour jeter de la poudre aux yeux. Paresseuse, indolente et égoïste, Mme Falk se montre d’abord très passionnée pour les idées d’émancipation de la femme, ces idées ayant cours, comme les idées démocratiques de son mari, dans le milieu où vivaient alors le boutiquier et sa femme. Elle se fait pieuse, et patronne de bonnes œuvres lorsque, plus tard, « le banquier » se crée des relations plus mondaines dans des cercles religieux et conservateurs. Elle est alors infatigable pour organiser chez elle des réunions de dames, présidées par l’éminent prédicateur du jour, le pasteur Skare. C’est là qu’est imaginé et fondé l’Asile de Bethléem pour enfans pauvres, que le banquier dote magnifiquement « à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de son heureux mariage. » Seulement ladite donation se trouve consister en actions d’une compagnie d’assurances maritimes, dont Falk est le directeur. Peu de temps après, cette compagnie fait faillite, entraînant ses actionnaires dans sa ruine, et l’Asile de Bethléem doit liquider. Mais l’astucieux banquier a su passer la main au moment propice, et faire du même coup une bonne œuvre qui lui vaut la croix. Alors sa femme change de batteries et va