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notamment au recrutement du jury, à son fonctionnement, à ses rapports avec les magistrats. L’autre, au point de vue spécial des délits de presse, aura trait aux procédés et aux institutions qui nous paraissent de nature à rendre en cette matière la tâche du jury plus aisée et son œuvre plus efficace.

Le premier point de vue, celui qui a trait aux réformes de la Cour d’Assises dans sa constitution organique, formera le sujet d’un prochain et dernier article. C’est donc le second point de vue, celui des réformes spéciales au régime de la presse, qu’il nous faut envisager aujourd’hui.

Mais avant d’aborder ces réformes, une « question préalable » se pose. A quoi bon tenter d’améliorer le jury de la presse si on ne doit le saisir que de quelques rares affaires, s’il doit rester ce qu’il est : une arme de parade rouillée et dangereuse ? Une juridiction « de prévoyance », comme on disait en 1881, c’est-à-dire une juridiction qui ne fonctionne qu’à de longs intervalles, par exception et comme par caprice ; qui, en 1892, a vu comparaître pour toute la France 26 prévenus de diffamation envers les fonctionnaires, ne saurait acquérir la sûreté et l’expérience que l’exercice procure ; elle s’atrophie, tend à disparaître ! Il y a là, on le comprend, un problème dont il serait puéril de méconnaître les difficultés. Est-il possible, en matière de diffamation contre les personnages publics par exemple, d’introduire dans les poursuites quelque suite et quelque régularité ?

Un honorable magistrat s’exprimait ainsi, récemment, sur ce sujet délicat[1] : « Le ministère public doit poursuivre, même d’office et sans plainte, la répression des diffamations contre les fonctionnaires… Je veux que la défense de l’honneur du fonctionnaire auquel un fait précis est imputé soit non pas un droit, mais un devoir. S’il ne mérite pas d’être défendu par l’action du ministère public, qu’il sorte de l’administration[2] !… »

Il est clair cependant qu’il y a des cas nombreux où il est difficile de concevoir que la poursuite puisse avoir lieu sans la plainte de la partie intéressée, d’un ministre, par exemple ; et à un point de vue plus général, il y aura toujours, dans l’application des lois sur la presse, une mesure à garder. « La poursuite constante, régulière et inéluctable, disait M. Ribot, en 1881, c’est une idée de magistrat, ce n’est pas une idée de garde des sceaux. »

  1. M. Burdin de Péronne, De la diffamation des fonctionnaires publics ; Amiens, 1895, p. 33.
  2. Ce système trop absolu avait pour défenseur, en 1867, le duc de Persigny. Dans une « note à l’Empereur », le Duc allait jusqu’à déclarer « qu’il ne faudrait pas un mois » pour décourager les diffamateurs si, à chaque insulte, on les mettait « en présence d’une poursuite certaine, inévitable ». Mais au conseil, MM. Rouher, Baroche et Troplong se montrèrent opposés à ces idées, et elles furent abandonnées.