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d’Assises, ralliera tôt ou tard un grand nombre de suffrages, et marquera par son succès le retour périodique vers les pratiques autoritaires, dont les étapes sont connues, et dont la censure est le but.

Les partisans de la juridiction correctionnelle ont, aussi bien que ceux de l’impunité totale, des argumens plausibles à fournir ; mais, à notre avis, ils sont dans l’erreur quand ils cherchent à justifier leurs vues en répétant qu’elles consacreraient le retour au droit commun.

Il n’y a pas de formule dont on ait plus abusé que de cette phrase célèbre, qui depuis quatre-vingts ans défraie tous les propos, les discussions et les discours sur la presse. Et ce qui peut surprendre, c’est que ce « droit commun, » véritable Protée, change sans cesse de sens et de forme : tantôt il est la liberté, tantôt il est la servitude, mais c’est toujours le droit commun. En quoi le « retour à la correctionnelle » pourrait-il constituer ce célèbre « retour au droit commun » ? Voici la théorie. On s’est avisé que le tribunal correctionnel est la juridiction des délits, tandis que la Cour d’Assises est la juridiction des crimes. Ce serait donc par une sorte d’exception, de privilège, d’accroc au droit commun que les infractions de la presse, qui sont des délits, seraient déférées aux Cours d’Assises qui, d’après la loi, sont juges des crimes. Tel est le raisonnement.

Il serait irréprochable si notre Code pénal avait pris la peine d’étudier les infractions au point de vue de leur gravité, et de définir scientifiquement le délit et le crime. En ce cas, les infractions les plus graves seraient, sous le nom de crimes, déférées à une juridiction, et les moins graves seraient, sous le nom de délits, déférées à une autre : il serait alors exceptionnel qu’une infraction scientifiquement classée dans les délits à raison de son peu de gravité fût renvoyée devant la Cour d’Assises. Mais chacun sait qu’il n’en est pas ainsi et que, malheureusement, notre division tripartite des faits punissables en crimes, délits et contraventions, est purement arbitraire, empirique, et ne correspond à rien de rationnel. Rossi dénonçait déjà vers 1830 l’absurdité de ce système, mais il est toujours debout. Même, les distinctions imaginées par le Code de 1810 sont devenues aujourd’hui d’autant plus arbitraires que, par suite de circonstances que nous avons indiquées, la plupart des crimes devant le jury sont punis de peines correctionnelles. — Il n’y a donc pas d’attribution rationnelle et philosophique de compétence. L’infraction de la presse appartient au jury parce qu’elle lui est déférée par la loi ; et il n’y a rien dans l’économie générale de notre Code qui rende plus normale et plus harmonieuse la juridiction correctionnelle en pareille