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qui avaient nommé des députés républicains, ceux-ci, pour servir leur parti et leur propre influence, désignaient leurs grands électeurs. Dans plusieurs villes, les meneurs républicains, sans attendre qu’on leur laissât leur part, se l’étaient faite eux-mêmes ; entraînant une foule ou entraînés par elle ils avaient envahi les préfectures, chassé les préfets ; et le télégraphe affirmait au ministre de l’intérieur qu’ils occupaient la place et entendaient la conserver. Et par-delà les frontières mêmes, d’autres républicains faisaient entendre les droits de l’exil, de l’ancienneté dans le parti, annonçaient, qui de Suisse, qui d’Espagne, leur prochain retour en demandant un poste, et rappelaient qu’entre leur zèle et une préfecture, il n’y avait plus de Pyrénées.

Comme la liste des maires parisiens, la liste des préfets ne contenait que des républicains : plus encore que la liste des maires elle assemblait les républicains des sociétés les plus diverses ; dans l’une et dans l’autre la même volonté calculatrice avait maintenu entre ces diversités les mêmes proportions et le même équilibre. Gambetta avait largement accordé à l’influence de Picard et de Jules Favre la nomination de républicains bourgeois, amis des mesures légales, partisans de la liberté, droits d’intentions et corrects de vie. Mais il avait fait une place égale aux candidats favoris de ses collègues plus ardens ou des groupes jacobins. Les hommes qu’il avait choisis lui-même, et ce ne furent pas les moins remarquables par les aptitudes, avaient été comme assortis de toutes les nuances, mais avec une préférence pour ceux d’un républicanisme plus sombre et d’un caractère plus impérieux. Les plus redoutables étaient ceux qui, inspirateurs ou mannequins de la foule, avaient montré les uns leur énergie, les autres leur docilité révolutionnaire en acceptant leur titre de l’émeute et que Gambetta dut confirmer dans leur possession : il aurait eu mauvaise grâce de tenir trop rigueur aux gens qui s’installaient par avance à la place désirée par eux, et de plus il ignorait s’il avait à ce moment la force de les en déloger. Un dernier trait achevait la ressemblance entre la promotion des maires et celle des préfets : avec les uns comme avec les autres, la franc-maçonnerie se glissait sans bruit dans le gouvernement de la France.

Ainsi recrutés, pouvaient-ils être ces ignorans volontaires des anciennes querelles, ces conciliateurs entre les factions, ces patriotes résolus à solliciter avec un égal empressement, à accepter avec une égale joie le concours de tous, pouvaient-ils être ces arbitres équitables qu’il fallait pour conduire une guerre nationale ? C’étaient là des mérites tout contraires à ceux dont les candidats s’étaient fait des titres et pour lesquels ils avaient été