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doctrines évidentes pour sa pensée, nécessaires à ses ambitions. Etablir ces vérités chez elle, les répandre sur le monde lui paraissait la grande mission de la France, et c’est cette primauté d’influence démocratique et républicaine qu’il jugeait essentiel de défendre en défendant le sol envahi. Comme la passion de parti était inhérente à son patriotisme, et que combattre pour le sol sans combattre pour la République eût été défendre la moindre part de ses affections et s’enlever la plus puissante raison de vaincre, il considérait la passion de parti comme l’unité la plus étroite entre les hommes, la discipline de parti comme le ressort le plus puissant des énergies, le gouvernement de parti comme le seul capable de mettre des efforts soutenus et efficaces au service des intérêts publics[1]. Certain que la république inspirait à nombre d’hommes un amour capable des plus courageux sacrifices, il voulait ne pas perdre cette force pour la défense, et croyait qu’ils seraient plus invincibles s’ils défendaient à la fois leur patrie et le régime de leur choix.

Gambetta voyait clairement que, si la France consultée consacrait par un vote ce régime, ce vote confierait le pouvoir aux républicains modérés. Mais Gambetta doutait que la majorité des Français, la veille si attachée à l’empire, fût subitement convertie au régime nouveau, et plutôt que de courir la chance d’un désaveu infligé à la république par la volonté nationale, Gambetta, résolu avant tout à garder la république, ne voulait pas d’élections. Dès lors le gouvernement n’avait pour soutenir son existence que le concours de ses partisans. Moins la France était républicaine, plus il devenait indispensable de donner aux républicains tout le pouvoir, afin de compenser par l’exercice de l’autorité l’infériorité de leur nombre. Plus ce nombre était faible, plus il était essentiel de ne pas l’amoindrir par des divisions intérieures, et le seul moyen de ne s’aliéner aucun des élémens qui formaient cette minorité était d’admettre au partage du pouvoir tous les groupes républicains. Chaque groupe enfin devait obtenir non à proportion de son importance numérique, mais à proportion des services qu’il pouvait rendre, des difficultés qu’il pouvait susciter ; or les républicains révolutionnaires étaient,

  1. « On ne gouverne qu’avec des partis… Ce qui, à mon sens, a été la condition même de la faiblesse du gouvernement, c’est qu’il n’était pas un gouvernement de parti. » GAMBETTA, déposition devant la Commission d’enquête sur le gouvernement de la Défense nationale. Ann. parl., t. XXIII, p. 486.)
    « M. Gambetta avait un ardent patriotisme, mais… ayant à demander pour l’œuvre de salut commun que nous poursuivions le concours de toutes les volontés, de tous les esprits, de tous les cœurs, il était persuadé que pour utiliser ce grand effort, il fallait superposer à cet effort même un parti qui devait en être le directeur. » TROCHU, discours du 14 juin 1871 à l’Assemblée nationale. (Ann. parl., t. III, p. 375.)