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que la délégation soit de trois personnes. La crainte d’être désignés pour cet exil empêche les membres du gouvernement de souscrire à la proposition. Un seul homme est choisi et c’est Crémieux : à une pareille heure, on le choisit parce qu’il est le plus âgé, pour lui épargner les souffrances du siège ; et lui accepte parce qu’il sera seul à exercer un gouvernement tout entier.

Le 15 enfin, les approches de l’ennemi ramènent la pensée du conseil vers la France dont on sera séparé peut-être dans quelques jours, et qu’on ne peut laisser sans direction ; l’insuffisance de Crémieux apparaît. Garnier-Pagès demande que quatre nouveaux membres du gouvernement soient envoyés à Tours. Favre, Simon, Glais-Bizoin el Gambetta pensent que deux suffisent, à la condition d’être « connus et influens. » Mais les mêmes répugnances personnelles, le même point d’honneur retiennent à Paris ceux qui pourraient constituer ce pouvoir sérieux en province. De refus en refus on en vient à désigner un seul membre du gouvernement ; et c’est Glais-Bizoin. Il n’est pas vrai de dire qu’on le désigne, mais plutôt qu’on se ligue contre lui. Il est choisi à l’unanimité. On le choisit parce qu’il est aussi le plus âgé, parce qu’il est celui que l’on craint le moins d’indisposer ; il se résigne parce que ses collègues de Paris n’ont offert aucun rôle à son activité, et qu’il espère trouver en province un partage plus aisé du pouvoir. Lui nommé, personne d’autre parmi les membres du gouvernement ne consente partir. Et pour trouver la seconde personne qu’on a décidé d’adjoindre à Crémieux, il faut chercher hors du gouvernement. L’amiral Fourichon, débarqué le matin même à Cherbourg va arriver à Paris : il est absent, et l’on n’a pas à consulter son désir ; il est militaire et il obéira à un ordre ; on le nomme. Le gouvernement agit comme si la délégation dût être une retraite où des vieillards seraient mis hors péril, et non la mission la plus importante. Par générosité ou ambition, tous les hommes d’importance voulurent être présens dans ce Paris où allaient se livrer les batailles militaires, où s’était livrées les batailles politiques[1]. Tous croyaient d’ailleurs qu’un investissement était impossible et persévérèrent dans cette confiance jusqu’au jour où le cercle se ferma sur eux.

Bien que le gouvernement tout entier se fût accordé sur ces

  1. Enquête sur le gouvernement de la Défense nationale. TROCHU. —… Il vous semble qu’étant donnée la composition du gouvernement d’alors, on pouvait mieux faire que d’envoyer à Tours deux vieillards. Eh bien, je crois que c’est précisément leur grand âge qui leur valut cette désignation. (Ann. parl., t. XVII, p. 249.)
    JULES FAVRE. —… Blâmez-nous-en, si vous trouvez que nous le méritons, mais c’était à qui ne quitterait pas Paris. Et pourquoi, messieurs ? Parce que Paris était le lieu du danger. (Ann. parl., t. XVII, p. 295.)