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le génie national et sa vaillance naturelle à l’incapacité réglée des traditions et des chefs militaires. Des citoyens devaient être organisés par des citoyens. A eux-mêmes, les premiers de ces citoyens, appartenait de saisir toute l’autorité qui n’était pas exercée par Trochu, de garder toute cette autorité dans la main du pouvoir civil.

Dès le matin du 5 septembre, cette main s’étendit sur les affaires militaires. Il fut convenu que, si l’armée appartenait au ministre de la guerre, le ministre de l’intérieur restait le chef des gardes nationales. Le nom alors populaire de cette milice était un programme : il fut, le jour même et le lendemain, développé dans deux circulaires. La mission de recruter, de former, d’équiper les gardes nationales était attribuée, sous les ordres du ministre, aux préfets et aux maires : on y rappelait aux citoyens que pour les opérations militaires elle serait sous les ordres des chefs nommés par elle ; que ceux-ci et l’autorité civile avaient seuls droit de la requérir ; et que, hors ces momens de service, chaque citoyen demeurait son maître. Le 9 septembre le système fut complété : pour trouver les fusils et les canons qui manquaient, une commission d’armement fut nommée. Elle se composait presque entièrement de civils, et elle avait pour président M. Le Cesne, quelques jours avant député de la gauche.


De même, pour entraîner hors de Paris ses collègues, Trochu seul aurait eu assez de force, et c’est lui qui les attachait à la place. En tout temps, abandonner Paris, eût été cruel au culte passionné, idolâtre que ces hommes rendaient à cette ville : ce leur était comme une apostasie de découronner la capitale, eux ses élus. La quitter à la veille d’un siège répugnait plus encore à leur honneur : ils voulaient leur part de l’épreuve, ils voulaient surtout qu’on ne les accusât pas de fuir, et que Paris fut témoin de leur courage. Si ce courage à la fois sincère et théâtral n’était pas celui qui aide les véritables hommes d’État à oublier l’amour-propre, et à sacrifier quand il le faut leur renommée à leurs desseins, il était ce courage naturel aux hommes de popularité qui, pour être, ont besoin de paraître. Mais, Trochu les autorisant à penser que Paris était le boulevard unique de la France et le siège de l’action décisive, leur devoir était en effet de ne déserter ni l’effort, ni le péril. Et si le siège devait se poursuivre avec toutes les libertés et toute l’effervescence de la vie publique, leur présence à Paris n’était pas seulement nécessaire à l’honneur, mais à la durée du gouvernement. Armer la foule sans la soumettre à la discipline, et compter qu’elle aurait toute sa force quand elle aurait cessé de se posséder elle-même, était faire une