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immédiats non seulement avec la France qu’il avait à soulever, mais-avec l’Europe qu’il avait à émouvoir, avec le monde sur les marchés duquel il avait à trouver des approvisionnemens et des armes. La place de ce gouvernement était hors de Paris.

C’étaient là des changemens profonds à la vie ordinaire de la nation et du pouvoir. Mais que restait-il d’ordinaire dans le sort et dans les devoirs de tous deux ? Ce n’est pas par les moyens calculés sur les périls habituels, ce n’est pas en prétendant sauver ses habitudes qu’on pouvait sauver la patrie. Des scrupules de légalité n’étaient pas faits pour arrêter les hommes du 4 septembre : ceux qui venaient de renverser un régime au nom du salut public, n’avaient plus le droit de reculer devant un texte, s’il embarrassait la défense. Une seule raison eût excusé le gouvernement de ne pas prendre les mesures nécessaires, c’était que la France refusât de les accepter.

La France s’offrait au contraire aux sacrifices. La générosité de son courage demeure l’honneur de cette triste époque et dépassa ce qu’on avait droit d’espérer. Dans ce peuple où presque tous étaient, la veille encore, à l’attache de l’intérêt privé, captifs de l’égoïsme familial ou individuel, la douleur des maux publics avait soudain pénétré les cœurs, et la vision de la patrie blessée l’emplissait les yeux et la pensée même des simples. Ces cerveaux épais, ces êtres primitifs comprenaient que la faute de ces malheurs n’était pas seulement au pouvoir, mais à eux-mêmes ; qu’ils n’avaient pas assez veillé sur le bien commun ; que si l’épée autrefois étincelante au soleil s’était rouillée dans son fourreau, c’était surtout pour épargner leur bourse, leur temps, leurs aises : ils sentaient qu’il y avait dans ces revers une justice, qu’il fallait expier et offrir maintenant à la patrie la sécurité, l’argent, les joies de la vie, et cette vie même.

La métamorphose de Paris était la plus imprévue et la plus complète. A l’ivresse malsaine qui, dans les premiers jours de la guerre, mettait les cris : « A Berlin ! », sur les lèvres d’une foule où personne ne songeait à quitter son foyer, ses occupations ou ses plaisirs ; à la joie frivole qui, le 4 septembre, accueillait la chute de l’empire, et, dans une révolution accomplie au nom du patriotisme, effaçait le souvenir de l’envahisseur, avaient succédé une énergie grave, un enthousiasme recueilli, un frémissement de vraie volonté. Cette étrange et déconcertante ville qui semble incapable de se donner à la fois à deux idées et, par l’ardeur même de sa passion, épuise si vite tous ses sentimens, fit, dans l’attente du siège, sa veillée des armes et y montra une âme humble, sage et héroïque. Paris, à la fois plein de résolution et d’incertitudes, parce qu’il voyait ensemble son devoir et son