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et les 18 000 mobiles de la Seine, les uns et les autres sans instruction ni esprit militaire, on dépassait à peine 8 0000.

Et pourtant cette ville était pleine d’hommes. Nulle part la jeunesse mâle n’était en proportion aussi considérable : non seulement en effet celle de Paris, mais celle de toute la France était attirée et retenue dans la capitale du travail et du plaisir ; plus de 200 000 hommes, valides, âgés de 20 à 35 ans, continuaient à mener au milieu de nos désastres leur existence accoutumée, échappant même aux obligations qui les atteignaient partout ailleurs. La loi du 10 août 1870 portait, article 2 : « Tous les citoyens non mariés ou veufs sans enfans, ayant vingt-cinq ans accomplis et moins de trente-cinq, qui ont satisfait à la loi de recrutement et qui ne figurent pas sur les contrôles de la garde nationale, sont appelés sous les drapeaux pour la durée de la guerre. » Cet appel s’adressait à trois catégories de personnes : 1° les anciens soldats qui avaient fait un congé ; 2° les soldats de la deuxième portion du contingent qui avaient reçu un commencement d’instruction militaire ; 3° les hommes qui par exonération ou dispense n’avaient jamais servi. Or, soit ménagement politique, soit crainte de verser dans l’armée un contingent peu discipliné, soit négligence, à Paris un grand nombre d’hommes appartenant aux deux premières catégories n’avaient pas répondu et n’avaient pas été recherchés, et pas un homme appartenant à la troisième n’avait été appelé. On peut évaluer leur nombre à près de 100 000. Les hommes mariés ou veufs et pères de famille qui avaient moins de 35 ans formaient un groupe non moins considérable et non moins inactif. Dans Paris enfin, siège du gouvernement le plus centralisé qui fût, laboratoire où la science et la pensée nationales concentraient leur activité et leur vie, marché où toutes les industries avaient soit leur principal établissement, soit leurs dépôts, se trouvait inactive une multitude d’hommes que leurs connaissances professionnelles et leur supériorité d’éducation générale eussent rendus aptes entre tous à servir le pays. Là surtout apparaissait que, entre la France et l’Allemagne, l’inégalité n’était pas dans leurs forces, mais dans l’emploi fait de ces forces, et que cette guerre était celle de la nation armée contre la nation désarmée.


II

Tenter la résistance était donc entreprendre une tâche presque surhumaine. De là la nécessité impérieuse de ne perdre par aucune erreur de jugement, ni de conduite, les dernières et si faibles chances que nous laissait la fortune.