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d'égale qualité. Enfin, en épuisant le droit de l'État jusqu'au bout, et la liste des inscrits jusqu'à 50 ans, on fournirait encore 20 000 hommes, peu propres à un service de campagne, mais capables de défendre, aussi bien que pas une troupe en Europe, les murailles d'une place. Ce serait arrêter toute navigation commerciale et enlever à la population du littoral les chefs de famille qui la font vivre, mais si l'on veut avoir pitié de la patrie seule, la marine serait en état de joindre 110 000 à 120 000 soldats aux 70000 qui restent de l'armée. Et tandis que celle-ci, saignée à blanc, peut à peine donner à ce reste de soldats un reste de cadres, incomplets par le nombre et souvent inférieurs par la qualité, la marine possède intacte sa hiérarchie de commandement, le corps admirable de sa maistrance, des officiers qui ont la confiance et le dévouement de leurs hommes, enfin des amiraux, qui, chargés de diriger nos expéditions dans les contrées lointaines, ne sont étrangers ni à la tactique ni à la stratégie de la guerre terrestre. La marine enfin a toute faite une partie de l'armement qui manque à nos places. Elle vient de remplacer par une artillerie nouvelle et plus puissante l'artillerie jusque-là en service à bord et sur les côtes ; il lui est facile, sans enlever un canon à ses navires et à ses ouvrages, de prêter à notre défense les pièces hier encore employées contre les cuirassés, et, par suite, puissantes contre des ouvrages de pierre et de terre. Mais au total, et en employant toutes ces ressources, la France aurait peine à armer et à mettre en ligne, contre 1 million d'ennemis, 200 000 soldats dignes de ce nom.

Comment transformer en soldats les 6 à 700 000 Français qui se doivent à la défense ? Pour instruire et commander, il reste les généraux, les officiers et les sous-officiers qui, à bout d'âge ou de vocation, ont quitté l'armée, sont de plus séparés d'elle par les changemens accomplis, depuis leur retraite, dans la science militaire, et auront à apprendre au moment où il faudrait enseigner. Pour créer des armes et du matériel, les arsenaux de la guerre et ceux de la marine, ces derniers surtout, avec leur puissant outillage, leurs approvisionnemens, leurs 20 000 ouvriers, offrent de précieuses ressources. Mais, même en unissant leurs efforts, les établissemens de la guerre et de la marine ne sauraient produire plus de 1000 fusils par jour, et plus de 10 batteries par semaine, c'est-à-dire par mois l'armement nécessaire à 100 000 hommes. Il faudrait à la France la moitié d'une année pour créer moins de forces que n'en possède déjà l'ennemi, et tandis qu'elle tenterait lentement de les accroître, il aurait tout le loisir de les détruire avec toutes les siennes. Notre état militaire ne nous fournissait pas les moyens de soutenir la lutte.